C’était une gentille maison, à Divonne. Comme elle donnait sur la cour d’honneur de l’institut hydrothérapique, elle voyait passer du beau monde. Elle aurait pu frimer. Mais elle restait modeste.
Notre gentille maison était très amie avec un marronnier. Elle l’aimait tellement qu’elle l’embrassait de tout son escalier. Du jamais vu ! Elle devint « la maison du marronnier ».
Ils étaient nombreux les marronniers autour de l’institut hydrothérapique et des grands hôtels. Ils distribuaient royalement leur ombre protectrice aux baigneurs, eux qui, pour la plupart, se plaignaient tout le temps qu’ils étaient fatigués, alors que (entre nous) en tant qu’aristocrates, ils ne faisaient rien de leurs dix doigts. Par contre, les industriels et les ingénieurs, épuisés par la construction de ponts métalliques, ou par les sales maladies qu’ils avaient attrapées en bossant au canal de Panama ou dans les colonies, remerciaient l’ombre bienfaisante des grands arbres et le murmure de leurs feuilles qui les réconfortaient.
Bref ! Notre gentille maison avait son marronnier à elle, rien qu’à elle. Ils s’enlaçaient. Ils étaient heureux. Ils ont voisiné quelques temps avec « la cage à mouches », un étrange restaurant vitré, mi-chalet, mi-pergola où les baigneurs venaient s’affaler pour faire leur réaction après les soins thermaux.
Je vous le dis en aparté, en fait, notre maison du marronnier, c’était deux maisons sœurs siamoises, l’une un peu plus grande que l’autre.
La petite (à droite) s’habillait coquettement d’un joli balcon chantourné. Le balcon de la grande (à gauche) reposait sur des consoles métalliques en forme de volutes, très élégantes. Les gens (vous savez comme ils sont, ils ne regardent rien, ils ne pensent qu’à eux), ne percevaient pas tous le chic de ces délicatesses architecturales.
Un beau jour, on a coupé le marronnier. J’ignore pourquoi. Ses racines gênaient-elles les fondations ? Etait-il malade ? Avait-il pris trop d’ampleur ? Mon petit doigt me dit que les résidents réclamaient du soleil. La mode était à la luminothérapie.
La gentille maison assuma son statut de maison du marronnier sans marronnier et continua son patient travail d’existence. On lui mit une belle horloge pour lui tenir compagnie. Elle en était fière.
Et puis une dame lui installa un magasin de journaux. Ce n’était plus le grand chic comme à l’époque des aristocrates, mais c’était vivant et fort sympathique.
Le temps passait. La gentille maison du marronnier faisait toujours face au petit établissement thermal, au fond de la cour. Comme il était joli avec ses ouvertures en plein cintre outrepassé, serties d’une alternance de briques rouges et blanches !
Les deux bâtiments restaient fidèles l’un à l’autre, partageant leur responsabilité. Ils perpétuaient ensemble la notion de sens de l’honneur, car souvenez-vous, cinquante ans auparavant, cette cour était une cour d’honneur. Dire que le bâtiment à l’arrière de l’établissement thermal, « la ruche », contenait une salle d’escrime où les messieurs s’entraînaient pour sauver leur honneur (en cas de besoin)…
Et boum ! Voilà que, le 17 avril 1952, le maire de Divonne, Marcel Anthonioz, annonce tout à trac en plein conseil municipal qu’il faut détruire cette maison du marronnier appartenant à la Société des Bains. Il dit texto « Cet immeuble vétuste, insalubre et menaçant de s’écrouler, présente un danger certain, tant pour les locataires qui l’occupent que pour la circulation! » et il propose que l’immeuble et le terrain sur lequel il était construit soient achetés un franc à la Société des Bains. Un franc ! Notre gentille, charmante et généreuse maison a été achetée un franc !

Maintenant à cet endroit-là passe la rue Fontaine.
Les conseillers municipaux n’ont pas protesté. Après avoir « ouï » (c’est comme ça qu’ils disaient) l’exposé du maire, ils ont décidé, à l’unanimité je crois, de faire démolir la gentille maison du Marronnier.
Moi, je sais que Marcel Anthonioz a menti, parce que pendant ma conférence à l’Esplanade du Lac, le jeudi 24 octobre 2024, quelqu’un qui a vécu dans la gentille maison du marronnier quand il était petit a dit que cette maison était encore en bon état. Jojo Qui-sait-tout me l’a confirmé : Marcel Anthonioz voulait faire passer une route pile à cet endroit ! Un point c’est tout ! Vroum !
Il ne faut pas croire tout ce que disent les officiels.
Le petit établissement thermal a assisté impuissant à la destruction de la maison du marronnier. Il ne savait pas que quelques années plus tard, en 1962, viendrait son tour de subir les méfaits des pelleteuses et des bulldozers. Lui aussi a disparu à jamais.
Annie Grenard










