Prendre les eaux à Divonne au temps des crinolines

Les contemporains s’extasient devant le site choisi par le Docteur Paul Vidart pour ouvrir un établissement hydrothérapique. H. Berthoud et Auguste Arène s’émerveillent devant la verdure luxuriante, les massifs de fleurs, le charme des sentiers ombragés, la fraîcheur dégagée par les sources…  « Les allées sablées, formant de nombreux méandres, les jolis ponts de bois, les fleurs de toutes les zones rassemblées avec art, le mélange des rayons du soleil et de l’ombre des hauts arbres, le bruit des petites cascades, le murmure plus doux de la rivière qui s’écoule, les mille soupirs de l’eau qu’on voit sourdre de tous côtés, le gazouillement des oiseaux, le va et vient des baigneurs, tout contribue à faire de ce lieu un séjour de paix joyeuse comme il la faut à des malades. Ajoutez à cela un paysage dont les merveilleuses beautés varient à l’infini… etc. » (H. Berthoud)
Gravure - La source de la Divonne

Alors que l’institut hydrothérapique du docteur Vidart a à peine un an, le docteur Rilliet le décrit dans un rapport qu’il lit à la Société de médecine de Genève le 5 juin 1850 :
« La localité a été fort bien choisie ; le climat de Divonne est très-salubre ; on y respire déjà l’air pur de la montagne : les environs sont charmants, et ce n’est pas un petit avantage pour les baigneurs, la promenade faisant partie essentielle de la cure. Le bâtiment des bains est placé auprès de trois grandes sources de la Divonne. Cette eau, comme toutes celles qui jaillissent du pied du Jura, est bien oxigénée, légère, agréable et très fraîche. D’après M. Vidart, sa température est constamment, été comme hiver, de 6° ½ centigrades.
« On a utilisé pour la création de l’établissement, l’ancien bâtiment de la papeterie. Les roues qui servaient autrefois à la fabrication du papier font maintenant mouvoir une pompe qui, après avoir puisé l’eau dans la vaste source qui se trouve presque sous les murs de la propriété, la fait arriver dans la partie supérieure du bâtiment, d’où elle est répartie par des conduits dans les chambres destinés aux appareils de douches et de  bains. La hauteur de la chute est d’environ 32 pieds. »
Et le docteur Rilliet nous apprend que le jeune docteur Vidart a déjà complètement transformé l’ancienne papeterie : « Le premier et le second étage des bâtiments sont occupés par 60 chambres très-convenables et bien disposées pour y trouver le confortable pendant les cures d’hiver ; 35 chambres sont pourvues de cheminées. Un large escalier fait communiquer cet étage avec le rez-de-chaussée ».
Gravure - Les baignées en crinoline

On reconnait sur la gravure la « grande maison ». Mais à l’intérieur, comment est-ce agencé? Ecoutons à nouveau le docteur Rilliet : « On trouve réuni, au rez-de-chaussée tout ce que l’hydriatrie moderne a inventé de plus utile : là ce sont les grandes douches en pluie froide ou chaude où l’eau jaillit dans tous les sens et atteint simultanément tous les points du corps, et, si le besoin le requiert, la grande douche à la colonne, ou bien celle en gerbe ou en pluie. On a même songé aux douches spéciales pour les yeux ou les oreilles. Plus loin on trouve la baignoire traversée par un courant d’eau continu, et la douche si elle est nécessaire. A côté sont les bains partiels simples ; ce sont des baignoires contenant seulement quatre pouces d’eau et dans lesquels les malades sont frictionnés. Une autre chambre renferme le bain partiel double, qui consiste en deux baignoires contigues contenant de l’eau à différents degrés ; l’on fait passer alternativement le malade dans l’une et dans l’autre, et on le frictionne fortement.
« Une ressource précieuse que l’on trouve à Divonne et que l’on rencontrerait difficilement ailleurs, ce sont les trois grandes piscines qui sont traversées par les trois grandes sources de la Divonne et qui offrent les avantages des bains de rivière à basse température. »
Voici une gravure de F. Thorigny représentant la « piscine de porcelaine » :
Gravure - La piscine de porcelaine de l'établissement thermal

Nous ignorons si ces gravures de F. Thorigny ont été dessinées de visu ou d’imagination.
Mais un séjour dans une maison de bains sous le Second Empire, malgré le calme de la campagne, la bonne table et la bonne compagnie, n’était pas toujours… une sinécure! C’est surtout l’épreuve du « maillot » que les baignés redoutaient, quand ils étaient transportés emmaillotés dans des draps et couvertures mouillés, sans qu’ils puissent faire un mouvement, et cela pouvait durer très longtemps…
Le docteur Rilliet poursuit : « Les procédés hydrothérapiques et la sudation, en particulier, réclamaient un autre mode de communication (entre l’étage et le rez-de-chaussée). M. Vidart a fait, à l’instar de plusieurs établissements hydrothérapiques (Marienberg, Bretiége), construire une trappe au moyen de laquelle les étages supérieurs communiquent directement avec le bas de la maison ; un fauteuil, mû par un appareil convenable, reçoit les malades tout emmaillotés, et les descend de leur chambre aux bains ou à la douche du rez-de-chaussée. Cette trappe qui livre passage au fauteuil aérien, n’a rien d’effrayant et ne mérite pas la description un peu fantasmagorique qu’un de nos spirituels confrères faisait dans la Gazette médicale, de l’enveloppement et de la trappe de Marienberg. Les malades qui se rendent à Divonne n’éprouvent point de si grandes inquiétudes ; on ne les descend pas dans les entrailles de la terre, et le Badmeister est un fort digne homme, très-adroit et très-entendu, dit-on, et dont la figure n’est point celle d’un suppôt du saint-office. Les procédés hydriatiques exigeant une grande dextérité et une grande habitude, M. Vidart dresse une escouade de baigneurs, auxquels il fait répéter chaque jour la manœuvre et nous ne doutons pas que bientôt ils n’aient acquis toute la dextérité de ceux de Marienberg. Pour transporter les malades de leur chambre au bain, on se sert aussi à Divonne de fauteuils ou de chaises à porteurs absolument semblables à ceux qui sont en usage aux eaux d’Aix. Les malades que j’ai vus à Divonne m’ont dit que l’enveloppement s’y faisait fort bien. »

Ouf! Nous voilà rassurés! L’épreuve du maillot est moins terrible à Divonne que dans d’autres établissements de bains. Ecoutons le docteur Paul Vidart dans ses ouvrages, « Etudes pratiques sur l’hydrothérapie ou traitement des maladies par l’eau froide, observations recueillies pendant l’année 1850 à l’institut hydrothérapique de Divonne » (Paris 1852) et « De la Cure d’eau froide, compte rendu des travaux accomplis pendant l’année 1851 à l’Institut hydrothérapique de Divonne (Paris 1852) ». Ouf! Le docteur Paul Vidart ne parle pas de « maillot » mais de « ceinture mouillée » et de « compresses ». Il n’applique ces médications que dans certains cas et, semble-t-il pas à 4 ou 5 heures du matin comme Priessnitz. Le patient n’est pas entièrement entortillé dans des tissus glacés comme une momie. Le docteur Vidart, en somme, applique des compresses. Le procédé, bien qu’inconfortable, n’est pas trop barbare

Me voilà rassurée. Allons faire quelques pas sous les ombrages! Nous croiserons peut-être Son Altesse le prince Napoléon. Hier il est venu accompagné de l’un de ses aides de camp et de son intendant, le colonel Rangon. Vous savez, ma chère, que le prince Napoléon réside dans sa villa de Prangins et vient prendre ses douches ici en voisin. Hier, par contre, Nubar-Pacha a quitté l’établissement de bains. Mais oui! Il a été appelé par des affaires d’état urgentes. Il a quitté Divonne brusquement avec les quinze personnes de sa suite…
Gravure - Les bains de DivonneEn 1856, le docteur Vidart a fait construire un théâtre. Le théâtre était son activité favorite. De plus, il voulait occuper les patients pendant leurs longs séjours. Il pensait que les activités intellectuelles et artistiques sont favorables à la guérison. Il pensait que la pratique d’une activité artistique qui favorise les relations sociales met le patient dans un climat qui facilite la guérison. Son petit théâtre, dans lequel il jouait lui-même avec ses patients, parait-il avec talent, est vite devenu célèbre. Les comédiens qui s’y produisaient en parlaient avec ravissement une fois rentrés à Paris…
On peut lire une page sur « la troupe du docteur Vidart » dans un gros bouquin, le 8ème d’une longue série La société française du XVIe siècle au XXe siècle par Du Bled – Editions Perrin et Cie 1911 – volume qui traite de la Comédie de société :
« On ne déroge nullement en jouant la comédie ; c’est même un excellent exercice de courtoisie et d’esprit..
« A Divonne, le docteur Paul Vidart appelait à son aide le théâtre d’amateurs ; en 185o il enrôla ses malades névrosés et neurasthéniques dans sa troupe, « C’était, dit M. Léo Claretie, le docteur jovial, qui remplaçait la morgue doctorale et les ordonnances par le
sourire et les libretti, les pots d’onguent par les pots de rouge, et les drogues par des vaudevilles. En hiver, il charmait sa solitude en brossant des décors (…). Depuis on a joué et on joue encore tous les samedis d’été. » S’en suivent des commentaires hasardeux sur « la comédie de paravent » comme remède dans les asilés d’aliénés…
Vue générale des bains en 1865On voit ici des « promeneurs en excursion », les dames étant à dos d’âne. Le docteur Vidart invitait les baigneurs à se promener pour profiter de l’air pur et régénérant. Voyons les activités que le docteur Vidart indique dans son prospectus dans les années 1860 : Exercices gymnastiques sous forme de leçons graduées – Escrime – Salles de billard – Salles de théâtre, de concert et de bals – Orchestre attaché à l’établissement – Journaux français et étrangers – Bibliothèque de 7.000 volumes s’augmentant chaque année des nouveautés parues, à l’entière disposition des baigneurs – Tir au pistolet et à la carabine – Pianos – Orgue-harmonium – Ecuries et remises – Chevaux, ânes et voitures à volonté.
Divonne dans son parcLe docteur Vidart nous assure : Appartements confortables pour toutes les saisons, et à des prix différents, suivant leur ameublement et leur exposition. Vastes galeries et promenoirs chauffés pendant l’hiver. Vastes salons de conversation. Eclairage au gaz. Un coiffeur est attaché à l’établissement. Bureau de poste à Divonne, station télégraphique.
– C’est tout à fait moderne! Et pas cher! Un logement d’une personne dans une chambre de premier ordre, avec tapis et ameublement soigné ne coûte que 28 Francs la semaine.
– Et la table? Faut-il suivre un régime? Vous savez que le célèbre Priessnitz préconise un régime draconien. A midi : verre de lait et tranche de pain, même menu au souper.
– Non! Non! Le docteur Vidart ne partage point l’engouement de Priessnitz pour la nourriture du paysan ; je me suis assuré par moi-même que l’ordinaire était fort bon, et les malades m’ont affirmé qu’il en était de même tous les jours. Le thé et le café sont exclus avec raison ; l’on ne permet le vin que dans des cas très-exceptionnels, la nourriture est abondante, saine et bien apprêtée. Les honneurs de la table sont faits avec beaucoup de grâce par la maîtresse de maison (dixit le docteur Rilliet).
– Très bien! Je vais réserver une chambre. Peut-on s’inscrire par télégraphe?
Fresque de Jean DebaudLa fresque de Jean Debaud dont voici un détail nous permet de rêver aux douces heures passées à Divonne par les familles fortunées. Cette fresque (un triptyque, en fait) qui orne la salle des mariage de l’hôtel de ville de Divonne-les-Bains a été offerte à la ville de Divonne par le docteur Lionel Vidart, arrière-petit-fils du fondateur de la station.

Mais revenons aux années 1860, quand les élégantes portaient des crinolines. Quelles maladies soignait-on alors à Divonne, selon le prospectus du docteur Paul Vidart?
– Celles-ci! On peut lire en cliquant sur l’image pour l’agrandir :
Des maladies susceptiblesUne autre fois, si vous le voulez bien, je vous raconterai des cas de réussite exemplaire obtenus par le docteur Paul Vidart, quand il a guéri par exemple un rhumatisme musculaire en 5 semaines… Ou bien quand il a soigné une jeune fille souffrant de paraplégie hystérique….
– Uniquement avec de l’eau? C’est incroyable!
– Incroyable en effet! Avec des bains, des douches et des compresses mouillées. A bientôt!

Cet article a été publié dans Dr Paul Vidart 1817-1873, Thermalisme. Ajoutez ce permalien à vos favoris.