Il fut l’un des plus anciens festivals de France. Il se déroulait dans le charmant petit théâtre du casino. Ce bijou de petit théâtre édifié en 1904 dans le style rocaille enchantait les mélomanes par son acoustique. Avec sa scène à l’italienne, il convenait comme un gant à des concerts de musique de chambre. Le balcon était décoré de guirlandes en stuc, feuilles, fleurs et rubans peints en teintes claires. Une grande verrière peinte aux symboles de la musique ornait le plafond. L’auteur de cette délicate ornementation était le peintre Januarius Di Decarli (1907-1996), demeurant au château de La Tour de Grilly à Grilly.

Comment un festival aussi prestigieux a-t-il pu se dérouler dans un si petit théâtre ? Grâce à un généreux mécène, le casino de Divonne. Grâce au doigté des organisateurs, eux-mêmes musiciens avertis. Grâce aussi à la prévoyance du député-maire Marcel Anthonioz qui a su exiger dans le cahier des charges qui liait le casino à la ville que le casino organise chaque année une manifestation culturelle d’envergure internationale.

Le Festival eut lieu chaque année pendant une quinzaine de jours, fin juin / début juillet, sauf en 1968, où il fut repoussé fin août/ début septembre. Il était soutenu par Les Amis du Festival qui en faisait la promotion localement. Les commerçants s’intégraient à l’événement en décorant chaque printemps leur vitrine avec des violons, des violoncelles, des partitions, des affiches…

Le Festival International de Musique de Chambre de Divonne connut deux périodes. Pendant la première, de 1955 à 1988, les concerts étaient programmés par le bureau de concerts Maurice Werner. Ils donnaient à entendre des musiciens mondialement réputés, tels Yehudi Menuhin, Isaac Stern, Arthur Rubinstein, Wilhelm Kempff, Nathan Milstein, Rostropovitch, Nikita Magaloff…

Pendant la seconde période, de 1989 à 2007, la direction artistique fut assumée par l’altiste vaudois Jean Auberson qui modernisa le festival et l’ouvrit à un public plus large, tout en restant fidèle à une programmation de qualité. Plutôt que des solistes, Jean Auberson mit en valeur les formations de musique de chambre : les quatuors (Quatuor Ysaÿe, quatuor Artemis, etc.) et les trios. Il convoqua des jeunes talents inconnus, pour qui Divonne fut un tremplin vers la notoriété, notamment les frères Renaud et Gauthier Capuçon.

Une ouverture en catastrophe !

Le casino avait ouvert en juillet 1954 à titre d’essai dans les salons de l’hôtel du Golf (actuel Grand Hôtel du Domaine de Divonne). On ne savait pas s’il serait rentable ! L’autorisation d’ouverture des jeux était prolongée de 3 mois en 3 mois. Quel stress ! Le 31 mai 1955, elle fut prolongée par la municipalité jusqu’au 31 mai 1956. Fleury Creton, le directeur de la Société d’Exploitation du casino, était secondé par son épouse, son fils et sa belle-fille. Il leur fallut à toute vitesse aménager les nouveaux locaux des salles de jeux, du restaurant, du cabaret et en même temps les locaux qui allaient accueillir des concerts prestigieux ! Le théâtre n’était pas prêt! Quel boulot ! Le Festival put ouvrir le 28 juin 1955 dans la salle de spectacles du casino, avec l’Orchestre de Chambre de Stuttgart sous la direction de Karl Münchinger. Le violoniste prévu, Devy Erlih, fut remplacé par Henry Merckel. Le lendemain : Orchestre de Chambre de Stuttgart avec le violoncelliste Guy Fallot. 1er juillet : Joint-Récital par Pierre Bernac, baryton avec le compositeur Francis Poulenc au piano. 5 juillet : Récital Alfred Cortot. 6 juillet : Chœur de Chambre de l’Académie de Vienne. 8 juillet : Récital de guitare Andrés Segovia.
Le ton était donné. La qualité musicale sera dorénavant au rendez-vous à Divonne chaque année en juin, jouée par de grands interprètes, pour certains mondialement réputés, devant un public fidèle et saluée par des critiques élogieuses.

Organisateur : Le bureau de concerts Werner à Paris

« Flûtiste de formation, Maurice Werner avait ouvert à Paris, après la seconde guerre mondiale, le Bureau de concerts Werner, qu’il administra jusqu’à sa retraite avant d’en céder la direction à son fils. Sa liste d’artistes comprenait des figures essentielles telles les pianistes Philippe Entremont, Michel Beroff et Pierre-Laurent Aimard à leurs débuts, le compositeur Olivier Messiaen et son épouse la pianiste Yvonne Loriod. Maurice Werner avait fondé en 1954 le Festival de musique de chambre de Divonne-les-Bains (Ain), qu’il dirigea pendant trente-cinq ans. » (Le Monde, 20 décembre 2005). Maurice Werner est décédé en décembre 2005, à l’âge de 86 ans.

Les Sociétés se succèdent !

Il est intéressant de consulter les programmes du Festival. On y voit nommés les organisateurs en page de garde. Exemples :

Au début, le Festival est organisé par le casino de Divonne-les-Bains, Fleury Creton Président directeur Général du casino et Louis Bernard-Lévy, Président directeur Général de la Sté Anonyme de Divonne-les-Bains. Avec le concours de Maurice Werner, commissaire Général, Fleury Creton fils, directeur artistique du casino, Mme de Boissière, attachée de presse.
En 1964, Fleury Creton a pris sa retraite. Il a quitté Divonne avec sa famille. Le festival est organisé par la Sté d’exploitation du casino de Divonne et des Grands Hôtels avec le concours de Maurice Werner, commissaire Général, Mme de Boissière, attachée de presse, Henri Astric, directeur artistique du Casino de Divonne. (En fait, sauf erreur, la Cie française des grands hôtels internationaux est déjà propriétaire du casino)
En 1967, le Festival est organisé par la Société Nouvelle de Divonne avec le concours de Maurice Werner, Commissaire Général, Jean Chatenet, directeur artistique, Dominique Dubois-Ferrière, attachée de presse.
En 1971, le Festival est organisé par la Compagnie française des Grands Hôtels internationaux – Direction artistique : Maurice Werner et Jean Chatenet
En 1977, le Festival est organisé par la Société Touristique Thermale et Hôtelière de Divonne-les-Bains avec le concours de Maurice Werner et Jean Chatenet.

En 1989, le Festival est organisé par la Société TTH Hôtel, Golf, Casino – Direction artistique Jean Auberson – Secrétariat : Nicole Joubert. Voir article suivant quand le Festival sera dirigé par Jean Auberson, de 1989 à 2007.

Les interprètes (liste non exhaustive)

1957 : Jean-Pierre Rampal, Yehudi Menuhin
1961 : Arthur Grumiaux, Nikita Magaloff, Nathan Milstein
1964 : Philippe Entremont, Nathan Milstein
1967 : Arthur Rubinstein, Isaac Stern, David Oistrakh
1968 : Nathan Milstein, Philippe Entremont, Arthur Grumiaux
1969 : Isaac Stern, Jean-Pierre Rampal
1971 : Nikita Magaloff
1972 : Philippe Entremont
1973 : Arturo Benedetti Michelangelli
1974 : Emmanuel Krivine, Jean-Philippe Collard
1975 : Teresa Berganza
1976 : Gyorgy Cziffra
1977 : Pierre Fournier, Philippe Entremont, Jessye Norman, Pierre-Laurent Aimard, Mstislav Rostropovitch, Itzhak Perlman
1978 : Isaac Stern, Jean-Pierre Rampal
1980 : Pierre Amoyal, Philippe Entremont
1981 : Teresa Berganza
1982 : Pierre Fournier, Michel Portal, Nikita Magaloff

Les Amis du Festival

Le festival a bénéficié du soutien d’une association divonnaise très active, fondée en 1956, l’Association des Amis du Festival International de Musique de Chambre de Divonne-les-Bains qui assurait une partie de la logistique et de la promotion sur le plan local, un relai, en somme, du bureau parisien de Maurice Werner.

Voici son bureau et son comité d’honneur, résumés d’après les programmes que nous avons pu consulter
En 1962 : Comité d’Honneur : Préfet de l’Ain, Consul Général de France à Genève, Consul Général de France à Lausanne, Marcel Anthonioz, député-maire, Sous-Préfet + 3 personnes.
Conseil d’Administration : Bureau – Mme Vieux présidente, Dr Brizard, Vice-Président, Maurice Werner, vice-président, André Lamy, secrétaire, Messieurs Lévi et Schmid, trésoriers, Maître Cailliez, conseil juridique, Monsieur Isoré.
En 1967 : Le Président d’Honneur est Marcel Anthonioz, vice-président de l’Assemblée Nationale, député-maire de Divonne. Le Dr Lionel Vidart fait partie du bureau.
En 1969 : Le Festival est dorénavant placé « sous le haut patronage de Sa Majesté la Reine Marie-José », ce dont les Divonnais étaient très fiers. Mme Jean-Claude Aron est membre d’honneur.
N.B. : La reine Marie-José a été la dernière reine d’Italie. Son mari, le roi Humbert II, est monté sur le trône le 9 mai 1946. Il quitte l’Italie après la proclamation de la République. Il aura régné un mois et 9 jours (selon Wikipédia). La Constitution interdit à Humbert et Marie-José de séjourner en Italie. La reine Marie-José se réfugie à Genève. Elle a suivi le festival de Divonne en voisine.
En 1972 : Mme Vieux devenue membre d’honneur, présidente honoraire, fondatrice, le Président du Conseil d’administration est le Dr André Brizard, le vice-président est le Dr Lionel Vidart, Mme Marcel Bonnaud, vice-présidente.
En 1974 : Dans les membres d’honneur : Denis de Rougemont, Directeur du Centre européen de la culture, Président de l’association européenne des Festivals de musique
En 1975 : Parmi les membres d’Honneur : Francis Blanchard, directeur Général du Bureau International du Travail.
En 1977 : Le Président d‘honneur est Jean Prost, conseiller général, maire de Divonne-les-Bains (Marcel Anthonioz est décédé en 1976).
En 1980 : Conseil d’administration : Monsieur Jean-Pierre Gounod est dorénavant président.
Roger de Candolle est conseiller musical.
En 1989 : Président d’honneur : Jean-Claude Pruvost, maire de Divonne.
Direction artistique : Jean Auberson – Secrétariat : Nicole Joubert

Le Festival International de Musique de Chambre de Divonne-les-Bains a créé un Prix de composition en 1958. Ce prix, doté de 500.000 Francs, était décerné par un jury de compositeurs, critiques musicaux et auditeurs. Il offrait au lauréat un séjour de six mois à Divonne, tout confort, dans un cadre superbe. Une bonne ambiance pour composer! Il ne semble pas que ce prix de composition ait eu beaucoup d’écho.

Les invités

Ce paragraphe fera l’objet d’un article à part. Il évoquera les intellectuels qui fréquentaient le Festival en invités, comme Jules Romains ou René Clair. Ils formaient une sorte de club. On les rencontrait dans les commerces divonnais. Ils apportaient un plus à l’ambiance du festival. C’était la culture en vacances!

Les merveilleux visuels de Julien van der Wal

Le talent du photographe, affichiste et designer suisse Julien Van der Wal (1925-2018) a apporté une valeur supplémentaire au Festival de Divonne. Tout le monde était sous le charme de ses affiches. Ses visuels ornaient aussi les couvertures des programmes. C’était classe!
Julien Van der Wal a créé des affiches pour l’Orchestre de la Suisse romande, le Grand Théâtre de Genève, la Fondation Baur à Genève… Il a réalisé de remarquables logos magistralement épurés pour des entreprises très importantes.

Bientôt la seconde partie!

L’altiste suisse Jean Auberson a pris la direction artistique du Festival de Divonne en 1989. Le style changea immédiatement. Il rajeunit! Plus décontracté, plus proche du public, des billets moins chers… l’invention des « concerts-tôt »… des conférences gratuites… la jeunesse communicative d’interprètes prometteurs… la passion de musiciens soudés en trio ou en quatuor… Et toujours la qualité!

Festival international de musique de Chambre de Divonne
Seconde période : de 1989 à 2008
Publié le 15 décembre 2024

Annie Grenard