Le docteur Paul Vidart fonde la station (1846-1850)

Le bourg agricole et artisanal de Divonne s’est transformé en station thermale prospère au milieu du 19ème siècle, lorsque le docteur Paul Vidart y a ouvert un institut hydrothérapique. D’après la tradition et d’après les travaux de l’historien divonnais Raymond Grosgurin, on s’accorde à considérer que la station a été fondée en 1849. C’est en effet cette année-là qu’a été établi l’acte officiel qui donnait le jour à l’institut hydrothérapique. Citons Raymond Grosgurin dans Divonne-les-Bains, station thermale et touristique : « Le 28 septembre 1849, par un acte passé devant Maître Girod, notaire à Divonne, le Dr Paul Vidart s’associa avec Mme Vve Vaucher, propriétaire de la dernière papeterie qui avait fonctionné jusqu’en 1840 sur la rive droite de la Divonne, en face du terrain qu’il avait acheté. Le tènement immobilier de cette association atteignait près d’un hectare et demi, et possédait deux sources supplémentaires. (…) La Société Paul Vidart et Cie, dont le docteur devint le gérant, fut fondée en Octobre 1849, avec un capital initial de 76.000 Francs. »

– Le docteur Paul Vidart était donc déjà installé à Divonne?
– Absolument! En 1846, il avait fait l’acquisition d’un établissement dirigé par le docteur Panthin au pied du Mont Mussy, dont voici une « réclame » imprimée à Genève en 1847 :
M le dr Vidart à DivonnePour déchiffrer le texte, voir l’article Mr le Docteur Vidart à Divonne (1847).
D’après A. Françon, cette propriété serait l’actuelle Villa Beaujeu, entre Divonne et Arbère. Cela expliquerait pourquoi sur la lithographie, le château de Divonne que l’on reconnait à son fronton triangulaire figure sur la droite.
Cette position de la villa Panthin nous est confirmée par le plan cadastral dit « plan napoléonien », datant de 1845.
Maison Panthin - Plan napoléonienEn 1849, le docteur Vidart s’associe avec la Mme Vaucher, la propriétaire d’une papeterie désaffectée qui se trouvait au bord de la Divonne, puisqu’elle en utilisait l’eau. La papeterie se trouvait rive droite, à l’endroit où l’on voit maintenant l’entrée du casino. Voici un fragment du cadastre cantonal de 1809. On remarque comme la Divonne, avec ses îles, avait un aspect différent de celui d’aujourd’hui! Nous signalons par une étoile l’endroit approximatif, rive droite, où se trouvera « la villa Vidart » (aujourd’hui le Grand hôtel du Domaine de Divonne).
Plan cadastral du 1er empireDès la création de la Société Paul Vidart et Cie en octobre 1849, le docteur Vidart fait installer dans l’ancienne papeterie des salles de douches et des « piscines » à l’emplacement des cuves à papier. Dans les étages, il fait aménager des chambres. Le bâtiment était vaste. Les Divonnais l’appelaient « La Grande Maison ». Il avait fière allure, au bord de la rivière, dans le parc d’agrément joliment aménagé. Entre les arbres magnifiques s’écoulaient quatre sources limpides et pérennes, idéales pour les soins hydrothérapiques. La Grande Maison devint en quelques mois une « Maison des Bains ». Le docteur Vidart en plus des soins thermaux, organisa efficacement la liaison avec Genève et la publicité. La clientèle répondit à ses suggestions. Le succès était au rendez-vous.
Panorama de DivonneMais remontons un peu plus avant!
Dr Paul VidartComment le docteur Vidart, est-il arrivé à Divonne?
D’où venait-il?
Comment a-t-il remarqué Divonne?
Par quelle série d’associations d’idées a-t-il pris l’initiative d’installer un institut hydrothérapique dans un village inconnu, excentré aux confins de la France, à plusieurs jours de diligence de Paris?
Ci-contre : le Docteur Paul Vidart (1817-1873)

Dans son livre Divonne-les-Bains, station thermale et touristique, Raymond Grosgurin nous dévoile le mystère : La famille Vidart, qui habitait Nancy, venait chaque été en vacances à Saint-Cergue, station climatique suisse proche de Divonne, à 1.000 m d’altitude, Saint-Cergue étant à l’époque renommée pour la pureté de son air et le confort de ses sanatoriums.

Jeunesse, vacances, étés, excursions en calèche, promenades à pied, paysages magnifiques, musiques des clarines, panoramas époustouflants sur la chaîne des Alpes et sur l’ondoiement du Jura, charme des chalets d’alpage, accueil chaleureux des armaillis dans leur costume traditionnel… Quand on s’attache à un paysage, on s’attache à ceux qui l’aiment. La famille Vidart retrouvait chaque année avec plaisir une famille genevoise, les Binet. On imagine aisément les éclats de rire quand on s’éclabousse aux fontaines, les timidités quand il faut traverser les troupeaux de vaches (N’ayez pas peur! Je suis là!)… la crainte d’ abimer ses chaussures en passant par-dessus un muret de pierres sèches (Permettez! Je vais vous aider!). Et la douleur des séparations… Puis-je vous raccompagner à Genève? Nous ferons un arrêt à Divonne… Nous profiterons de la fraîcheur des sources sous les grands arbres… Au relais de diligence du Mouton Noir, il y a une bonne table…

Le décor était favorable à l’éclosion d’un grand amour. Le jeune Paul Vidart s’éprit passionnément d’Emma Binet, de 7 ans sa cadette. Quand après ses études de médecine à Strasbourg, Paul demanda la main d’Emma, sa demande fut d’abord, parait-il, accueillie par un silence sceptique. Voyons! Une jeune fille de la riche bourgeoisie genevoise ne s’abaisse pas à épouser un simple médecin! « La médecine, ça n’a pas d’avenir! » lui aurait-on dit. « Qu’à cela ne tienne! pensa Paul, je construirai l’avenir de la médecine, je deviendrai riche et j’épouserai Emma! »
Le père d’Emma se laissa attendrir. Il aimait ce jeune homme intelligent, fin et distingué (un marquis!) qui peignait des aquarelles et jouait du violoncelle. Un marquis dans notre famille, ce serait… Hum! Mon cher, je vous aiderai à vous enrichir!…Paul Vidart fut nommé médecin militaire en Algérie (C’était l’époque de la conquête de l’Algérie, et des combats…). Il y resta peu de temps. Il se rapprocha vite de sa fiancée et ouvrit un cabinet médical à Versoix. Il épousa Emma le 31 mars 1846. Deux mois plus tard, il reprenait la maison de santé du docteur Panthin à Divonne. Comment a-t-il pu, en seulement quelques mois, quitter l’Algérie, ouvrir un cabinet à Versoix, acheter illico une maison de santé à Divonne? Où a-t-il trouvé l’argent? Son ami l’industriel Hartmann l’aurait aidé financièrement d’après Raymond Grosgurin. Il avait de la famille à Genève. Son beau-père l’aurait adroitement conseillé. « Vous vous intéressez, n’est-ce-pas à ce Vincent Priessnitz qui en Autriche soigne ses malades uniquement avec de l’eau froide? Savez-vous, mon cher, que les sources de la Versoix sont d’une pureté et d’une fraicheur exceptionnelles? Elle restent toujours fraîches, même en pleine canicule… Et, de plus, elles ne tarissent jamais… Priessnitz connait une réussite spectaculaire. Sa méthode est très a la mode. Vous devriez tenter… »
Pendant qu’il dirigeait sa maison de santé au pied du Mont-Mussy, le docteur Vidart aura étudié les sources de la Versoix, vérifié leur pérennité, mesuré leur température, étudié leurs propriétés chimiques. Il aura contacté les propriétaires des terrains rive droite et rive gauche. Sa famille et sa belle-famille aidant…

Voilà comment un jeune médecin originaire de Nancy a pu en quelques mois emménager près de Genève, ouvrir un cabinet médical, acheter une immense propriété, déménager, prendre la direction d’une maison de santé et… à peine trois ans plus tard… acquérir une autre propriété, créer une société et en un tournemain lancer sur la voie du succès un institut hydrothérapique aux principes thérapeutiques novateurs, lequel institut a transformé comme par enchantement un village du piémont jurassien en une coquette station de villégiature équipée de tous les atouts de la modernité…
Divonne dans son parc

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