Histoire méconnue d’une richesse de la ville de Divonne-les-Bains
Raconte-moi Divonne publie ici en intégralité un texte écrit en 1996 par un pêcheur passionné, Lucien Quentin. Son fils nous a transmis ce précieux témoignage sur l’évolution de la pêche à Divonne .
« Mon père, Lucien Quentin, est né à Paris en 1914. Sa mère, Marie- Eugénie Panissod est née à Plan. Mon père a passé beaucoup de vacances à Divonne chez sa tante Charbonnet dont le mari, blessé de guerre 14/18 s’occupait de l’entretien de l’usine hydroélectrique du Moulin David. De longues périodes de convalescence suivant des pneumonies à répétition lui ont permis de découvrir la rivière la Divonne à la fin des années vingt et de s’adonner à une passion partagée : la pêche et l’amour de la belle nature. » (Jean Quentin).
Photo prise en 1995 : les Quentin, grand-père, fils et petit-fils se préparent à partir à la pêche.
Les chiffres entre parenthèses renvoient à des notes à la fin du texte.
C’est en 1929, à l’âge de 15 ans que j’ai pris mon premier permis pour pêcher dans la Divonne.
J’ai connu le dernier pêcheur au filet, Ami Magnéna, qui avait appris ce métier auprès de son père que l’on appelait familièrement « le père Magnéna » et que je n’ai pas connu. Ils avaient pêché le plus légalement du monde au filet, munis d’un permis spécial, jusqu’à la guerre de 1914, puis le « Père Magnéna » était mort de rhumatismes au cœur contractés à force de demeurer plongé sans protection dans l’eau dont la température variait de 8 à 12° pour poser et relever les filets.
Ami Magnéna et sa femme en 1926, habitaient la maison située à quelques mètres de la fontaine du milieu de Plan.
Après la guerre de 14-18, la pêche au filet fut supprimée parce qu’entre temps, les Suisses avaient barré la rivière à Versoix pour y installer une usine de production de papiers, ce qui supprimait la remontée des truites du lac qui avaient de tout temps repeuplé la Divonne.
Ami Magnéna était aussi atteint de rhumatismes pour avoir, étant tout jeune avant 1914, aidé son père déjà vieux.
Je crois qu’alors il ne pouvait pas résister de loin en loin et cette fois clandestinement à poser un filet à l’occasion d’un mariage ou d’une communion. Les filets de son père étaient au grenier.
D’après ce qui m’a été dit, avant 1914, chaque coup de filet rapportait de 8 à 12 kg de truites qui alimentaient alors les Grands Hôtels de la façon la plus officielle.
Dans la mesure où le temps et l’état de la rivière le permettaient, ils pêchaient tous les jours depuis l’amont de la « Chute à Gilleron » (1) qui alimentait le pressoir de Plan et la diamanterie jusqu’à la frontière suisse, où la rive droite cessait d’être française au-delà du « Moulin de Grilly ». Il y a certes de nombreux kilomètres mais tout de même, ils pêchaient pour gagner leur vie de pêcheur professionnels probablement 250 jours par an et il y avait toujours des truites qui remontaient du Léman, la Divonne au début du 20è siècle était l’une des plus belles rivières d’Europe pratiquement inépuisable.
Le barrage de Versoix semble avoir été construit sans qu’on se soit préoccupé des conséquences tant pour les Suisses que pour les Français habitant en amont. « C’était la guerre » et on avait d’autres soucis.
Après 1918, un pêcheur professionnel nommé John Yersin a pris la suite des « Magnéna » mais comme pêcheur à la ligne puisque le filet était désormais interdit.
Yersin, en 1919, avait entre 45 et 50 ans, il avait des bottes cuissardes, luxe inconnu du temps des Magnéna, ainsi qu’un énorme bidon fait sur mesure pour conserver les truites vivantes jusqu’à la vente, il avait une canne de bambou dont le brin du bas était démontable, il n’avait pas de moulinet mais seulement une réserve de ligne contenue comme un écheveau de laine sur une lame de cuivre coudée aux deux bouts et ligaturée à la base du morceau principal de la canne.
Son bas de ligne était du crin de Florence assemblé par nœuds en prolongement d’une ligne tressée.
Il pêchait aux amorces naturelles, c’est-à-dire aux différents types de vers de terre selon les eaux et la saison, des vers d’eau à différents stades d’évolution, des vers de bois, des sauterelles, des grillons, des vairons, etc.
Comparé au matériel actuel, le sien était grossier notamment le bas de ligne, mais il connaissait à fond la rivière et savait reconnaître les périodes favorables, c’était un artiste pour présenter ses appâts. Il prenait de nombreuses truites, son énorme bidon était souvent plein le soir. Les confrères pêcheurs qui réussissaient souvent moins bien, laissaient entendre que peut-être les lignes de fond et la pêche à la main y étaient pour quelque chose, mais c’était probablement de la médisance, car il était au bord de la rivière de l’aube au crépuscule si nécessaire et il aurait pu dire combien il y avait de truites dans telle souche de saule ou dans telle douve sous la rive et de quelle taille. Néanmoins, comme il était toujours seul, partait souvent de nuit et revenait de même à pied ou à bicyclette par les petits chemins ou à travers champs, personne n’aurait pu jurer qu’il n’y avait pas ça et là quelques petites entorses au règlement, mais la vérité oblige à dire qu’il n’a jamais été pris sur le fait par le garde-pêche, les gendarmes ou les douaniers.
Comme jeune débutant, démuni de bottes, je ne pêchais qu’en amont de la source Barbilaine et dans les petits ruisseaux le Munet, le Clézet et la Ouate (2). J’avais aussi un matériel rustique et rudimentaire et je pêchais aux amorces naturelles, de plus, personne autour de moi n’était à même de me conseiller pour les choses les plus élémentaires et j’ai dû apprendre en perdant pas mal de truites par suite de défauts de mon matériel.
J’étais à Divonne pour tenter de refaire ma santé après plusieurs pneumonies et pleurésies et j’habitais à Plan chez ma tante et mon oncle Monsieur et Madame Lancet.
A ma modeste échelle, j’ai aussi vendu mes truites vivantes à Monsieur Thiller, l’Econome de l’Etablissement de Bains comme Yersin. Cela m’a permis de m’équiper peu à peu sans faire appel à la bourse de mes parents.
La rivière était riche en truites sauvages, le creux de la Diamanterie à Plan contenait sur 12 à 15 m de longueur environ 150 truites de toutes tailles, en été au moment des basses eaux, il n’y avait pas de courant et par manque d’oxygène, elles étaient obligées de sortit de dessous les grosses pierres pour « respirer », on pouvait les compter. Je l’ai fait et l’ordre de grandeur est bon. Chaque année il y avait une truite résidente dont le poids était de l’ordre de 700 à 800 g. Il était très rare de la voir, car elle ne devait sortir que de nuit mais, un jour, les jeunes mécaniciens de l’atelier de Monsieur Schutz qui avait remplacé les diamantaires, m’ont montré une truite de ce poids prise par eux à la main dans ce creux, elle était encore vivante dans un bac du sous-sol, il y a prescription à ce jour.
Pêchant au ver au moment des crues d’automne, j’ai pris quatre truites de 500 à 600 g dans ce que l’on appelait alors de « Parc Martin » et jusqu’auprès de l’atelier de lapidaire de Monsieur Grosgurin en amont.
En amont du pressoir de Plan qui était mitoyen à l’ancienne diamanterie, il y avait un emplacement d’abreuvoir pour le bétail, en période de sécheresse, quand la fontaine ne donnait plus, on y faisait boire les bêtes et les gens allaient y remplir leurs arrosoirs, il n’y avait que 6 à 10 cm d’eau et il fallait racler le fond, invariablement on prenait deux ou trois alevins de truite que l’on découvrait une fois rentré à la maison. C’est dire s’il y avait une intense reproduction naturelle.
Les petits ruisseaux tels le Munet et le Clézet contenaient des truites de 20 à 30 cm de longueur, par endroits le Clézet n’était large que de 25 cm entre ses rives garnies d’herbes, de reines des prés et de boutons d’or, mais il était profond et les berges étaient excavées, là-dedans de belles truites à l’affût des vers, des sauterelles, des scarabées, elles se précipitaient sur l’appât et on avait souvent la surprise de prendre de belles prises et de « toucher » des petites.
Il y avait par endroits des petites chutes avec un assez profond bassin dans lequel il y avait de nombreuses cachettes : racines, douves ou grosses pierres. Dans l’un de ces creux, j’ai manqué une truite qui peut-être approchait la livre. Ces ruisseaux étaient magnifiques, l’eau du Clézet était limpide et vive et le cours de ce ruisseau était accidenté et joli comme s’il avait été artificiellement créé pour décorer un jardin japonais.
En dehors des truites qu’on y prenait, c’était un vrai plaisir de pêcher au milieu des touffes de cresson d’un vert intense, des gros boutons d’or, de la mousse qui tapissait le lit par endroit et de plantes aquatiques qui, elles aussi, se recouvraient de petites fleurs blanches.
A cela s’ajoutait le murmure du courant, le bruit de petites cascatelles et ça et là d’une chute.
Au bord du Clézet, le plaisir était complet, on respirait l’odeur de la mousse humide, de la menthe et de la reine des prés.
J’ai conservé un souvenir idéal de ce petit ruisseau si joli qui, à cette époque, réservait de belles surprises.
La « Ouate » était aussi « très poissonneuse » avec des trous profonds, des souches d’arbres ou de saules offrant beaucoup de « caches », l’eau y étant moins claire, il semblait y avoir de très fines poussières en suspension, ainsi que sur le fond.
Je l’ai pêchée en aval et en amont de Villard jusqu’en dessous de la ferme des Pralies. J’y ai pris de belles truites, les plus grosses, de 30 cm environ mais je sais qu’elle en contenait de beaucoup plus grosses, car un garçon que j’ai connu, avait pour habitude tous les étés au moment des basses eaux d’écumer le ruisseau en pêchant à la main, il en prenait chaque année qui pesaient de une à presque trois livres. Elles étaient imprenables à la ligne parce que ne sortant que la nuit, c’était des truites remontées à l’automne qui avaient frayé mais n’étaient pas redescendues, elles étaient piégées et devaient vivre au ralenti en attendant les crues d’automne.
Ce pêcheur à la main était très habile, n’opérait que de nuit et connaissait chaque caillou, chaque souche, il ne s’est jamais fait prendre et ne gardait que les grosses truites qui étaient régulièrement remplacées par la remontée suivante.
Je vais citer maintenant un fait authentique. J’ai connu au bord de l’eau le Docteur Roland, grand chasseur, grand pêcheur à la mouche et Maire de Divonne pendant de nombreuses années.
J’ai connu plus intimement Monsieur Laporte, son adjoint, lui aussi grand chasseur et grand pêcheur à la mouche qui a accepté que je l’accompagne pour m’instruire en observant la plus grande discrétion, j’ai appris à pêcher à la mouche en l’observant jusqu’à la guerre en 1939. C’est de lui que je tiens l’anecdote que voici.
C’était au cours des années 1928-1930, il chassait le lièvre avec deux amis dans une zone située à proximité de la Ouate en amont de Villard et un peu en aval du pont qui permet au chemin de gagner la ferme des Pralies. C’était en septembre, il faisait très chaud, le gibier restait tapi, les chiens qui ne sentaient rien, étaient exténués et les chasseurs ne valaient guère mieux.
Soudain le chien de Monsieur Laporte lève un lièvre qui détale en direction de la Ouate en aval du petit pont, il y avait là, à cette époque, une zone marécageuse avec de la bâche, quelques roseaux, des petits saules et des petits buissons de verne. Monsieur Laporte, qui ne s’y attendait pas tire en catastrophe, il ne sait s’il a touché, mais l’espère, le lièvre est parti en direction du ruisseau dans les hautes herbes.
On le cherche et on ne trouve rien, il s’est comme évanoui dans la nature, pas de trace de poils, ni de sang et les chiens crevés sont plus occupés à boire qu’à le chercher.
Au bout d’un certain temps et la fatigue aidant, les chasseurs s’assoient à l’ombre et les chiens se couchent pensant le lièvre manqué et déjà loin.
Au bout d’un moment Monsieur Laporte croit entendre du bruit dans le ruisseau tout proche. Serait-ce le lièvre réfugié là et peut-être blessé ? Il prend son fusil et décide d’aller voir, guidé par le bruit et prêt à tirer, soudain il voit à l’origine du bruit que ce n’est pas le lièvre blessé mais une truite de trois livres dont le dos dépasse de l’eau à moitié et qui tente de gagner son trou en amont. Il s’en empare facilement et la dépose dans le creux où elle s’empresse de se cacher, il a eu tout le temps de l’examiner et de l’évaluer, car il en a la grande habitude. Il l’estime à trois livres, c’est un fait authentique décrit de la bouche même de celui qui en a été le premier témoin et je peux me porter garant de cette authenticité.
Je peux personnellement citer un autre fait : cela se passait au cours des années 1924-1926, mon oncle et parrain, monsieur Charbonnet était le chef électricien des grands hôtels des bains, il dirigeait à ce titre l’usine électrique (3) leur appartenant, située au niveau de la Place dite à l’époque des « Quatre Vents », vis à vis du magasin Ferrari. Le canal d’alimentation toujours existant est maintenant bordé d’un jardin. Pour assurer le bon fonctionnement des turbines, il devait nettoyer fréquemment les grilles et selon le débit de la rivière, trois ou quatre fois par jour.
Il a repéré un jour, probablement entre octobre et janvier, une très grosse truite qui venait de franchir la chute située tout à côté en aval et qui existe encore, cette truite avait élu domicile dans le canal long de 15 à 20 m situé juste avant les turbines et large de 5 m environ.
La truite était tout près de la paroi verticale rive gauche du canal.
Mon oncle possédait une foëne (4) à 4 dents que j’ai vue, en effet, tous les menuisiers, meuniers, scieurs de long, diamantaires qui exploitaient une chute sur la rivière en étaient munis. Car ma mère m’a raconté que le menuisier dont l’atelier était situé un peu en aval (5), avait coutume souvent les vendredis vers les années 1897-1900 avant midi, d’aller prendre avec sa foëne les truites nécessaires au repas de sa famille et des deux ou trois ouvriers qu’il nourrissait et ceci presque chaque semaine.
Cette coutume paraissait constituer à l’époque un droit coutumier de tous les propriétaires de chute d’eau.
Mon oncle n’a pu résister au désir de prendre une aussi grosse truite, il a pris la précaution d’attacher le fer de sa foène à une ligne solide. Bien lui en a pris, car la truite frappée au milieu sur le dos a, d’un coup de queue, cassé le manche de la foène et est partie en remontant le courant, il l’a ramenée avec la ligne attachée au fer, elle pesait 3,700 kg.
Plus tard au même endroit, j’en ai vu prendre une de 500 à 600 gr de la même façon, mais celle-là n’a pas cassé le manche de la foène. Cela aussi est authentique, il y a prescription et mon oncle est mort il y a 45 ans.
La « Grande rivière » (6), autrement dit La Versoix, dans son parcours frontière, contenait des truites atteignant 5 à 7 kg, les « creux » ou les souches où elles se cachaient, étaient soigneusement tenus secrets. Certaines d’entre elles avaient été « tenues » à la ligne mais avaient régulièrement cassé.
John Yersin a pris une truite de 5 kg à la ligne peu de temps avant la fermeture ; ma truite était cantonnée environ 150m en amont du Pont de Chavanne côté rive droite. Il la connaissait, la rivière grossie par les pluies d’automne débordait dans les prés près de la berge française, il y avait trente à 40 cm d’eau sur l’herbe. L’eau était un peu trouble. Cela devait se passer aux alentours de 1930.
La truite a été prise avec un gros lombric le matin, Yersin a pu l’amener sur la berge inondée et peu à peu il l’a échouée.
Après l’avoir décrochée, il a essayé de la mettre dans son immense bidon mais plus d’un tiers en dépassait. Il s’est hâté vers la ferme de la Tuillère et l’a mie dans le bassin de la fontaine, des grosses planches placées dessus devaient l’empêcher de sauter.
La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre et j’ai pu aller la voir, elle mesurait entre 90 et 95 cm, il a été vérifié qu’elle pesait bien 5kg, c’était une superbe truite mâle.
Je crois qu’elle a été la pièce maîtresse du banquet des Pompiers qui, très opportunément, avait lieu un jour ou deux plus tard. Les truites de 5 à 10 livres n’étaient pas rares à cette époque.
Monsieur Laporte m’a raconté qu’un jour de printemps en avril ou mai par hautes eaux, il pêchait à la mouche noyée en compagnie du docteur Roland dans une portion de la Versoix où il existe un tronçon rectiligne à peu près au-dessous d’Arbère, un peu au-delà en direction de Grilly.
Ils pêchaient l’un derrière l’autre en descendant le courant à environ 50m de distance.
Ils ont presque au même moment, piqué chacun une grosse truite. Ils ont tous les deux pris leur poisson, l’un pesait 3,750 kg et l’autre 3,700 kg.
Ces exemples donnent une idée de la richesse de la rivière.
Les truites d’un kg étaient presque banales. Un douanier pêcheur du nom de Déconfin pêchait régulièrement au vairon mort avec une monture « Bohémienne ». Il s’attaquait surtout à celles qui étaient embusquées sous les bancs d’herbes rabattus par le courant, sa canne était une grosse trique en bambou noir, il ne faisait pas de fioritures, la plupart du temps, la truite sortait de son abri, saisissait le vairon, il ferrait alors à vue et sortait la truite d’un kilo comme il l’aurait fait d’une truite portion. Ce n’était peut-être pas raffiné mais c’était efficace.
La pression de pêche ne cessant d’augmenter, les truites de pisciculture « surdensitaires » sont apparues et les sauvages se sont raréfiées, ceci se passait en 1937-1938.
La Guerre a entraîné environ 6 années de fermeture de la pêche dans le parcours frontière et à l’ouverture de 1946 il y avait beaucoup de truites. Ce nouvel âge d’or a duré quelques années. A cette époque, les eaux usées de la Divonne étaient déversées dans le marais garni de roseaux et après un assez long parcours rejoignaient la rivière 1500 m environ en amont du pont de Chavannes. L’eau restituée était parfaitement claire et des truites vivaient dans le ruisseau de restitution. Il a été démontré depuis que les roseaux constituent un remarquable moyen naturel d’épuration des eaux usées biologiques et la preuve scientifique en a été faite.
La Municipalité qui avait formé le projet confidentiel de créer un lac à l’emplacement de l’épandage qui fonctionnait très bien, l’a fait supprimer sous le prétexte que « l’entretien » de cet épandage était insalubre pour le personnel ; or il n’y avait pratiquement aucun entretien, ce n’était qu’un prétexte pour le supprimer et créer le Lac à la place.
Les eaux usées collectées ont alors été déversées directement dans la rivière sous Arbère la transformant l’été, en période de basses eaux, alors que la population estivale est au maximum, en égout à ciel ouvert.
Lors de la construction de l’autoroute Genève-Lausanne, les déblais graveleux en provenance du Lac ont été utilisés à des fins diverses et notamment pour la fabrication de béton, l’eau de lavage des agrégats a été alors, sans bassin de décantation, rejetée directement à la rivière dont elle a colmaté le fond, ce qui a détruit les frayères qu’il pouvait y avoir et asphyxié les herbes aquatiques qui garnissaient le fond des touffes, abritaient des quantités de nymphes d’insectes et servaient de cachette aux truites et aux vairons dont entre autres elles se nourrissaient. La régénération de la rivière, si elle est encore possible, demandera de très nombreuses années.
L’avènement de Marcel Anthonioz, s’il a apporté des éléments positifs au développement de Divonne dans le domaine hôtelier et balnéaire, l’a fait dans bien des cas au mépris absolu de ce que l’on nomme maintenant l’Ecologie et au détriment des Pêcheurs.
Marcel Anthonioz : paix à ses cendres, était d’un caractère difficile et despotique, il n’admettait pas la contradiction et se moquait éperdument de tout ce qui concernait la nature ou la rivière entre autres, il n’avait que mépris à l’égard des chasseurs, ce qui explique son attitude. Je l’ai bien connu car il n’avait que deux ou trois ans de plus que moi.
La transition était lourde entre Maire, Chasseur, Pêcheur, cultivé et respectueux de la nature tels que le Docteur Roland et à sa suite Jean Laporte et Marcel Anthonioz et ceux-ci ont dû se retourner plus d’une fois dans leur tombe.
Il y a presque 25 ans que j’ai cessé de pêcher dans la rivière à Divonne, elle est maintenant (en 1996) recouverte comme un égout en amont de la Mairie (7), ainsi que le Clézet et la Ouate près de leurs confluents respectifs.
Le peu que j’ai vu en aval du pont de Chavanne m’a fait pitié. Il n’y a presque plus d’herbes aquatiques ni d’abris pour les truites. Le soleil peut à peine y parvenir car plus personne n’exploite les arbres qui ont tout envahi.
Ma rivière est morte, ce sont les hommes qui l’ont tuée. Je ne veux plus la revoir car je préfère rester sur mes magnifiques souvenirs de jeunesse.
J’ai 82 ans et je tenais à laisser un témoignage de ce qu’elle a été.
Lucien Quentin, le 1er février 1996
Notes :
1 – La Chute à Gilleron désigne le barrage du Paradis que certains Divonnais appellent encore aujourd’hui la chute à Musitelli.
Sur les cartes postales, cette chute due à un barrage est appelée Barrage du Paradis. Le barrage créait la réserve d’eau qui alimentait la diamanterie coopérative de Plan.
2 – Le Munet traverse le Golf. Le Clézet se jette dans la Vouattaz qui, quelques mètres plus bas, conflue avec la jeune Divonne qui sort du Golf, au hameau du Paradis (à Plan).
Lucien Quentin écrit la Ouate car Vouattaz se prononce Ouate. En Gessien comme en Savoyard, on ne prononce pas le z de la fin des mots. On ne prononce pas le a (désinence féminine) de la fin des mot, ni le o (désinence masculine). Le chemin de Recredoz se dit le chemin de Recrède.
Anthonioz se prononce Anthonio.
3 – Il s’agit du Moulin David, ancienne usine hydro-électrique qui a fourni du courant à la Société des Bains de 1887 à 1993. Elle a été remise en état de fonctionnement par des bénévoles. Elle est gérée par l’association DivonnElectro.
Ouverture au public tous les dimanches matin de 10h à 12h, de mars à novembre.
4 – Une foëne (ou foène, fouëne et fouine1) est un harpon de fer à long manche terminé par plusieurs branches pointues et barbelées. On lançait la foëne sur les poissons qui passaient à fleur d’eau et on les ramenait à l’aide d’une cordelette attachée au manche.
5 – Albert Pièce, originaire de Bex, en Pays de Vaud, est venu travailler à Divonne d’abord comme domestique à la Villa Amélie, chez Emma Vidart. Il s’est installé vers 1885 comme menuisier sur l’île traversée par le passage du Vieux Moulin. Son fils Albert a pris sa succession. Cette importante menuiserie-ébénisterie fut reprise quelques années par les frères Salvi avant de fermer en 1958.
6 – Le vrai nom de la rivière qui traverse Divonne est la Versoix, comme l’attestent les cartes anciennes, et même certains documents officiels actuels. Ci-contre le cadastre « napoléonien ».
Il semblerait que ce soit le fondateur de la station, le docteur Paul Vidart, qui ait pris l’initiative d’appeler Divonne la portion de rivière qui longeait son Institut hydrothérapique.
7 – A l’époque de Lucien Quentin, la mairie de Divonne se trouvait place de l’église, dans le bâtiment qui abrite maintenant la poste.















