Maupassant – Divonne, le 6 août 1891…

Aujourd’hui, j’ai été sur mon tricycle voir la maison de Voltaire à Ferney. Aller et retour de Divonne à Ferney en 2 heures 10 minutes, passant toutes les voitures aux montées et aux descentes.
En rentrant, j’ai été me jeter dans cette piscine de Divonne si froide que nous sommes trois ou quatre seulement sur trois cents douchards qui l’acceptons. Je vais faire un plongeon dans le trou d’où sort ce flot glacial et violent. Il me rejette et je retourne à l’escalier sur le dos. A sa sortie, l’eau a + 5°.
La douche du matin est à + 6°. Ce sont les premières douches du monde, aucune eau n’atteignant ce froid, toujours semblable, hiver comme été. Elle saisit à boire comme de l’eau glacée. C’est un vrai phénomène.
Je suis tombé là comme un poisson dans l’eau, dans son eau, et je suis bien sûr qu’une saison, tous les ans, dans cette glace, me tiendra très longtemps à flot.
Je n’ai pas eu à m’y faire. Je suis l’homme de l’eau froide, et le médecin me donne les aspersions les plus violentes, ayant reconnu les extraordinaires réactions qu’elles me font.
Je ne pense pourtant pas encore au travail, parce que je veux être blindé. Je passerai l’automne en mer.
En somme je suis une espèce de Pan moderne que Paris tue, bien qu’il y désire vivement revoir ses amis.
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Cette célèbre lettre de Maupassant est citée par Marlo Johnston dans sa biographie « Guy de Maupassant » – Fayard 2012 – certainement la biographie de Maupassant la plus complète, la plus fouillée et la plus objective.
La correspondance de Maupassant est en ligne sur maupassant.free.fr/corresp1.html
à consulter absolument! Mais justement sur ce site, nous n’avons pas trouvé la lettre « Aujourd’hui, j’ai été sur mon tricycle… »
Marlo JohnstonMaupassant en 1891Maupassant en 1891

Ci-dessous une photo du tricycle du roi Léopold II de Belgique (musée du Cinquantenaire à Bruxelles). Maupassant a probablement circulé à Divonne sur un tricycle semblable.
François Tassart raconte dans ses souvenirs que, pendant son séjour à Divonne, Maupassant a eu un accident de tricycle en revenant de Pregny (village proche de Genève), où il avait rendu visite à son amie la baronne de Rothschild. « Il avait voulu rentrer sans s’arrêter, sans prendre de repos, et, au retour, accablé par la chaleur, il fut pris d’un étourdissement, tomba de machine et se luxa deux côtes. »
Pauvre Maupassant! Lui déjà si malade, qui souffrait le martyr.
Tricycle_Léopold_II_de_BelgiqueCette lettre suggère deux remarques :
– Maupassant adorait l’eau, l’hydrothérapie et la baignade, comme il adorait le canotage et la voile, aspect de sa personnalité que nous soulignerons dans un autre article.
– L’institut hydrothérapique de Divonne avait été créé sous les auspices de Vincent Priessnitz qui soignait exclusivement à l’eau froide, froide, froide. Le docteur Paul Vidart soignait de même à ses débuts, dans les années 1850. Très vite, il s’aperçut que l’eau tiède ou chaude est aussi bénéfique. La piscine d’eau froide subsistait, certes, dans le deuxième établissement, mais peu de « baigneurs » s’y plongeaient et seulement pour de brefs plongeons…
Etablissement de bains fréquenté par MaupassantntEtablissement de Divonne où Maupassant se plongeait dans le « flot glacial » :
La piscine était alimentée par la source Barbilaine qui jaillissait à l’arrière du bâtiment à 6,5°. Elle était donc alimentée d’eau vive en constant renouvellement. Pour amener de l’eau chaude dans les autres piscines, douches, étuves, etc., on stockait l’eau dan la tour que l’on voit sur la photo et on la chauffait. A droite de la tour, on voit la cheminée.
Source Barbilaine

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