Maupassant a t-il écrit à Divonne?

« Je n’ai jamais rien écrit avec autant de facilité. Je marche dans ce livre comme je marche dans ma chambre, sans revenir en arrière, sans une retouche. Je ne puis pas dire que ce sera un chef d’oeuvre, mais je sais que ce sera mon chef d’oeuvre. »
Maupassant parlait en ces termes à sa mère de L’Angélus, le roman qu’il avait commencé à l’automne 1890, son 7ème roman si l’on compte L’Âme étrangère, abandonné. Maupassant pensait terminer L’Angélus en quelques mois. Hélas! Pendant l’hiver 1891, il était accaparé par les représentations de sa pièce Musotte. Et puis, les migraines, les névralgies, les visites chez les médecins, la fatigue, les effets secondaires des médicaments, la difficulté à se concentrer… L’Angélus n’avançait pas. Et cette lumière qui lui faisait mal aux yeux! « Mes yeux sont si faibles que je ne peux plus écrire du tout ». En plus, Maupassant attrappa l’influenza!

Maupassant emporta à Divonne dans ses bagages le manuscrit de L’Angélus. Il comptait bien le terminer pendant sa cure. Quand vers le 20 juillet 1891, il arriva à Divonne, accablé de fatigue et de douleurs, il écrivit à son ami et confident le docteur Henri Cazalis : « Je traîne ma triste vie que je ne crois pas traîner longtemps, sur toutes les côtes, sur la mer, de plus en plus malade, du cerveau et du corps. Je suis à bout de force, n’ayant pas dormi depuis quatre mois, et atteint d’accidents de plus en graves. » Il se plaint de souffrir des yeux au point de pas supporter la moindre lumière de bougie. Comment écrire dans ces conditions? « Je ne peux plus dormir, je ne peux plus manger, je traîne ma migraine le long des routes »  et à plusieurs reprises : « Je ne peux plus écrire ».

Quand il quitte Divonne pour essayer une cure à Champel près de Genève, il prend soin d’emporter avec lui le premier chapitre de L’Angélus : il veut le montrer au poète Auguste Dorchain. Il ne passe que peu de temps à Champel, deux jours probablement, mais il a le temps de confier à Dorchain combien son Angélus lui tient à coeur.  « Depuis un an, je n’ai pas pu écrire un autre chapitre. Si dans 3 mois le livre n’est pas achevé, je me tue » lui aurait-il dit. Dorchain rapportera quelques années plus tard que la soirée passée à écouter Maupassant parler de L’Angélus est « un des souvenirs les plus profonds se sa vie« .

Du chalet du Mont-Blanc à Divonne, Maupassant écrit fin août au docteur Cazalis :  « Tout le monde quitte Divonne. C’est une fuite générale. J’en fais autant car il me faut avant tout de la chaleur. Les douches m’ont fait beaucoup de bien, mais je n’en ai pas pris assez… » Avant de se rendre à Cannes, il passe à Aix-les-Bains. Il est affreusement souffrant.  Les 50 douches thermales prises à Divonne ne l’ont pas guéri. Dans la nuit du 1er au 2 janvier 1892, à Cannes,  il tente de mettre fin à ses jours, suite à quoi il est interné à la clinique du docteur Blanche à Paris où il meurt le 6 juillet 1893. Il allait avoir 43 ans.

L’Angélus est resté inachevé. On peut en lire les deux premiers chapitres suivis du paragraphe qui aurait clos le livre, sur maupassant.free.fr.

On connait le canevas de L’Angélus par la mère de Maupassant et par Auguste Dorchain. On aurait retrouvé dans ce roman comme dans un testament, les thèmes qui traversent  l’oeuvre de Maupassant : La femme forte qui affronte courageusement le danger, la jalousie entre deux frères, comme dans Pierre et Jean, le manoir normand où la vie est trop tranquille comme dans Une vie et surtout l’occupation de la Normandie par les Prussiens (Boule de Suif, Mademoiselle Fifi, Les Prisonniers, La Mère sauvage, l’Horrible, Les Rois, Le Père Milon…)
Maupassant s’est engagé comme volontaire dans la guerre franco-prussienne en 1870. Il a vécu la retraite de l’armée française désorganisée, pendant un hiver glacial, alors que les soldats étaient sous-alimentés. Son engagement comme volontaire ne l’a pas dispensé du tirage au sort. Après le Traité de Paix, il lui a fallu tirer un numéro et ce fut un mauvais numéro, qui le désignait pour un service militaire de 5 ans. Il a pu de justesse s’acheter un remplaçant. Ces épreuves et les récits racontés par sa famille et lus dans les journaux l’ont profondément traumatisé. Dans ses chroniques, Maupassant a exprimé avec éloquence son horreur de la guerre (« Les hommes de guerre sont les fléaux du monde ») et il s’est vigoureusement élevé contre le service militaire. Lire sur maupassant.free.fr sa chronique La Guerre, publiée dans le Gil Blas du 11 décembre 1883.
Le regard de MaupassantLes Divonnais se rappellent peut-être les articles de journaux locaux affirmant, dans les années 1960-1970 que Maupassant aurait écrit Le Horla à Divonne. L’historien Raymond Grosgurin a même repris ces assertions dans Divonne au Fil des Siècles. Il suffit d’un petit calcul pour ce rendre compte que ce n’est pas possible. Maupassant a publié le Horla en 1886 (1ère version, parue dans le Gil Blas) et en 1887 (2ème version, parue en recueil) – Or, Maupassant a fait sa cure à Divonne en 1891 – Donc, Le Horla était déjà publié quand Maupassant a séjourné à Divonne…

A Henri Cazalis,
Divonne, Chalet du Mont-Blanc, fin août ou début septembre 1891 :
(…)  Eh bien en ce moment tout le monde me crie : « Restez à Divonne ». Et moi je sens qu’avec ce climat, je fais une bêtise irréparable pire que Plombières ou Bouchard m’a maintenu de force.
    Je ne peux plus dormir, je ne peux plus manger, je traîne ma migraine le long des routes, péniblement, car nous sommes dans la montagne et je n’ai jamais pu en approcher. C’est absolument l’histoire de ma dent. Je suis dans ma peau, les autres n’y sont pas. Je mangeais comme dix hommes en arrivant ici, maintenant je grignote dégouté comme autrefois, incapable de marcher tant j’ai mal au ventre, perclus d’esprit et d’énergie, plus découragé que jamais.
    Il me faut de la chaleur et de l’exercice et je ne peux pas en faire, avec le sentiment d’accablement où je suis tombé. Et puis quel exercice. Marcher ? Aller où ? J’ai tout vu. Je ne recommence pas. Mon immobilité me rend la douche pénible, presque inutile. Le corps est fort ; la tête plus malade que jamais. Il y a des jours où j’ai rudement envie de me f… une balle dedans. Je ne peux pas lire ; toute lettre que j’écris me donne un mal de ventre atroce et un gonflement tel qu’il faut déboutonner tous mes vêtements. (…)

A Henri Cazalis,
Aix-Les-Bains, septembre 1891
 » (…) Je voudrais retourner à Divonne mais je suis incapable de prendre un train. »

Je voudrais retourner à Divonne

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