Maupassant a fait une cure à Divonne en 1891. Les biographes nous apprennent qu’il a interrompu sa cure pendant plusieurs jours. Il voulait, nous dit-on, tester l’établissement hydrothérapique rival de Divonne ; Taine le lui avait conseillé ; cet établissement se trouvait à Champel, à 10 minutes de Genève. On nous cite une lettre à sa mère qui serait datée du 27 juin 1891. En réalité elle a été probablement écrite le 27 juillet.
« Je veux te dire que je quitte Divonne en quelques mots seulement, ma bien chère Mère, mais je ne vais pas loin et j’y reviendrai sans doute. Ma maison est exposée, comme l’établissement d’ailleurs, à tous les vents du lac et de tous les glaciers. Nous voici dans les averses et les souffles gelés des neiges qui m’ont redonné des tas d’accidents surtout à la tête. Mais les douches m’ont extraordinairement engraissé et musclé.
J’allais me sauver je ne sais où, vers le soleil, très hésitant, quand je reçus une lettre de Taine me conseillant fort l’Établissement rival de Divonne : Champel, à dix minutes de Genève. Il y fut guéri l’an dernier en 40 jours d’une maladie toute pareille à la mienne – impossibilité de lire, d’écrire, de tout travail de la mémoire. Il se crut perdu. Il fut guéri en 40 jours. Mais il revint cette année juste à temps.
Le poète Dorchain y est en ce moment avec les mêmes accidents que moi. Il a retrouvé le sommeil, rien que ça. Parbleu, c’est tout, ça !
Cazalis m’a donné rendez-vous à Genève. Il m’a trouvé si bonne mine, l’air si fort, qu’il s’est écrié : « Vous êtes guéri ».
Je lui ai dit toutes mes misères nouvelles. Il a répondu un mot très sage : « Pour vous, tout est d’abord une question de climat, sécheresse et soleil, puis de douche indispensable car elle vous a déjà métamorphosé, j’en suis sûr à vous voir. »
Alors nous avons parlé ensemble de Champel et il a trouvé cela une excellente idée d’autant plus que le médecin qui dirige cet établissement est un des meilleurs spécialistes de la Suisse.
Champel est bien plus chaud que Divonne. C’est situé dans un large et beau vallon bien abrité en des collines boisées. J’y vais ; mais le médecin de Divonne m’a dit en riant :
« Vous resterez là quinze jours, puis comme le beau temps finira par revenir, cette année étant exceptionnelle, vous aussi vous reviendrez ici, avec le soleil. »
Je l’ai quitté en riant. Je pars demain. Adresse provisoire Hôtel Beau-Séjour à Champel – Genève.
Je t’embrasse de tout mon cœur, ma bien chère mère. Baisers à Simone. Mille choses à ma belle-sœur.
Ton fils, Guy
P.S. Remarque comme ma lettre est écrite d’une main plus sûre. Mais les yeux ne sont pas remis de Luchon. Ils ne peuvent supporter l’humidité. »
Nous sommes étonnés. Nous pensions bien connaître notre région, or nous n’avons jamais entendu parler d’un établissement hydrothérapique à Genève! Ce mystère demande une enquête!
Champel, quartier résidentiel de Genève, s’étend sur un plateau qui domine l’Arve – immeubles élégants entourés de verdure, belles villas, vue sur le Salève… Reste-t-il des traces d’un institut hydrothérapique réputé? Oui! Au moins deux traces! Et bougrement pittoresques! Il reste dans un square une fausse tour médiévale. Elle a été construite en 1874. Avec son air de décor d’opérette, elle a abrité le salon de thé d’un établissement hydrothérapique, à une époque où le style troubadour était à la mode en architecture, comme en témoignent le monument de Brunschwig à Genève, la tour Haldimand à Lausanne ou le château de Thénières à Balaison, près de Douvaine.
Champel était autrefois situé à l’extérieur de Genève. C’était un village (champs, fermes, troupeaux, bosquets, parterres fleuris…) où les grandes familles genevoises avaient leur « campagne » (leur propriété agricole avec manoir). En 1873, un banquier, un avocat et un ingénieur, profitant de l’engouement pour l’hydrothérapie, y créèrent un institut hydrothérapique qu’ils lancèrent à grand renfort de réclames pour attirer une clientèle chic et fortunée. Les trois promoteurs fondèrent la « Société Hydrothérapique de Champel sur Arve ». Ils utilisèrent la maison de maître d’une »campagne » et construisirent à côté un hôtel luxueux de 200 chambres, l’hôtel Beau Séjour.
On utilisa l’eau de l’Arve pour les soins thermaux.
Trois pompes élevaient l’eau dans des chaudières qui la chauffaient pour des bains de vapeur turcs et une salle d’inhalation qui avait la vertu de soigner la goutte, la mélancolie et la stérilité… Un médecin réputé dirigeait l’établissement, le docteur Glatz – en été seulement, car l’hiver, Champel-les-Bains était fermé et le docteur Glatz officiait à Nice. L’établissement avait du charme. Son parc en pente abrupte s’inclinant vers la rivière bénéficiait d’une vue superbe sur le Salève qui était à l’époque une des destinations touristiques à la mode.
Champel-les-Bains attirait du beau monde, des têtes couronnées, des artistes, des intellectuels réputés. Camille Saint-Saëns, Hippolyte Taine, Joseph Conrad
y ont séjourné la même année que Maupassant, ainsi que le poète Auguste Dorchain.
La clinique Beauséjour offrait une palette de prestations, douches, bains, enveloppements ou frictions au drap mouillé, douches horizontales, mobiles, en pluie et en jet, douches écossaises.
Mais le docteur ne voulait pas que les douches soient désagréables. Il préférait attirer dans son établissement des touristes que des des malades. Il écourtait la durée des douches pour ne pas déplaire à ses patients !
Voici l’hôtel Beauséjour de Champel tel qu’il était quand Maupassant y a passé deux ou trois jours en 1891, en intermède à sa cure divonnaise.
Comment se fait-il que les Genevois du XXIème siècle n’aient pas connaissance de ces beaux bâtiments qui eurent pourtant leurs heures de gloire? Les bâtiments ont-ils été détruits?
Incroyable mais vrai : Champel-les-Bains a été détruit par un bombardement pendant la Seconde Guerre Mondiale. Il reste un bâtiment, inchangé. Ce fut d’abord la maison de maître de la « campagne », puis l’hôtel Beau Séjour. Il fait maintenant partie de l’Hôpital Beau Séjour de Genève.
Le bombardement eut lieu dans la nuit du 11 juin 1940. Des bombardiers de la RAF revenaient de Turin où ils avaient bombardé l’usine Fiat, en représailles à la déclaration de guerre de l’Italie à la France. Au retour, les avions ont largué des bombes sur Genève par erreur. Les dégâts matériels furent importants. Il y eut des morts et des blessés. Le gouvernement britannique émettra ses regrets et versera un dédommagement. Pour plus de renseignements, voir sur le site http://www.pionnair-ge.ch l’article Genève bombardée par erreur par des appareils A.W.Whitley britanniques (1940)
Mais revenons à Maupassant en 1891. Qu’a-t-il vécu à Champel-les-Bains?