D’après l’historien genevois Théodore Claparède, « Membre du Saint Evangile », auteur de « Histoire des Eglises Réformées du Pays de Gex » – Joël Cherbuliez, libraire-éditeur – Genève 1856.
1648 : Un jeune gentilhomme savoyard, Jean d’Arenthon d’Alex, s’installe comme curé à Chevry. Il n’y restera que 4 ans. Il n’a pas l’intention de croupir dans une paroisse qui ne compte « qu’un meunier et sa famille »! Le pays de Gex est à l’époque essentiellement protestant. Les paroisses catholiques recréées par François de Sales au début du siècle sont désertes. Jean d’Arenthon d’Alex prend la religion réformée en haine. Il quitte le pays de Gex.
1661 : Jean d’Arenthon d’Alex est ordonné évêque d’Annecy-Genève. Il veut achever l’oeuvre entamée par François de Sales. Il est déterminé à extirper la religion réformée du pays de Gex.
1661 : Mort de Mazarin. Louis XIV prend pleinement le pouvoir. Sans perdre de temps, Jean d’Arenthon d’Alex s’adresse à lui pour obtenir l’interdiction de la religion réformée en pays de Gex.
1662 – D’Arenthon d’Alex se rend à Paris. Son voyage est financé par le pape et par Christine de France. Sa rencontre avec le roi est préparée par des ecclésiastiques et des nobles dont Gilbert de La Forest, seigneur de Divonne, ardent défenseur de la foi catholique. Leur argument est le suivant : « L’Edit de Nantes qui tolère la religion réformée au royaume de France ne peut pas s’appliquer au pays de Gex, puisqu’il a été décrété quand le pays de Gex n’était pas français ». (Edit de Nantes : 1598 – Rattachement du pays de Gex au royaume de France : 1601).
Le 23 août 1662, le Conseil royal réuni à Saint-Germain en Laye autour de Louis XIV décide la destruction des temples du pays de Gex sauf ceux de Sergy et Fernex.
« Le Roy estant en son Conseil a déclaré et déclare le dit Edict de Nantes n’avoir lieu audit Baillage de Gex, réuni à la couronne postérieurement à iceluy. Sa Majesté a ordonné et ordonne que les autres Temples (autres que Sergy et Fernex qui seront graciés) seront incessamment ruinez et démolis. Ordonne sa Majesté au Gouverneur, Lieutenant en ladite Province (…) de tenir la main à l’execution du present Arrest. »
L’arrêt décrète aussi l’interdiction aux Protestants gessiens de s’assembler et de faire exercice de leur religion, ailleurs qu’à Sergy et Fernex. Bouchu, Intendant de Bourgogne est chargé d’appliquer l’arrêt. Une ordonnance du Gouverneur de Bourgogne le 27 septembre le met à exécution. Jean d’Arenthon a gagné. Il peut rentrer satisfait dans son diocèse pour assister à la démolition des temples gessiens.
Pourquoi les temples de Sergy et Fernex sont-ils graciés? Quelque accointance a-t-elle autorisé cette « grâce »? D’après l’historien Théodore Claparède, ces temples étant de petits bâtiments, ils ne pouvaient rassembler que peu de Réformés et ne menaçaient pas la foi romaine. Ils prouvaient la mansuétude du monarque…
Le 26 novembre 1662, Bouchu, l’Intendant de Bourgogne, entre en pays de Gex, escorté de 20 cavaliers de la compagnie des gardes du Prince de Condé, de 20 archers et de 15 gardes du sel des Maréchaussées de Bresse, de Bugey et de Bourgogne, « une petite armée capable d’écraser toute résistance ». Bouchu installe ses soldats dans les habitations des Réformés mais il ne trouve aucun ouvrier gessien qui accepte de s’atteler à la sinistre besogne. Il doit faire venir des démolisseurs du Bugey. « Une centaine », dit l’un. « 26 ouvriers, tant charpentiers que maçons » dit l’autre. Tout ce beau monde est nourri-logé chez l’habitant huguenot. On imagine l’accablement des familles à l’idée d’entretenir ces brutes de démolisseurs, goinfres, cupides et arrogants.
Citons Théodore Claparède qui reprend lui-même la relation d’un témoin (« Histoire détaillée et inédite de la démolition de 23 temples protestants dans le Pays de Gex »).
« On commença par abattre le temple de Gex, remarquable par sa grandeur et par la beauté de son architecture. Le 28 novembre, dès le matin, le bailli ayant publié l’arrêt du Conseil, l’évêque et l’intendant, suivis des hauts dignitaires ecclésiastiques du diocèse et d’un nombreux cortège de moines et de prêtres, s’avancèrent vers l’édifice sacré. Le bâtiment fut aussitôt entouré de gardes « tant pour empêcher la confusion que pour rendre l’action célèbre ». Les ouvriers animés par leur zèle autant que par l’appât du gain, posèrent des échelles en plusieurs endroits. Des ecclésiastiques, poussés du même zèle, se joignirent à eux, montèrent aussi à l’échelle et prirent part aux travaux des démolisseurs. « Les charpentiers » dit la relation d’un auteur catholique qui parait avoir été témoin de la scène, « les charpentiers furent bientôt sur le toit qu’ils jetèrent à bas pendant que les trompettes faisaient retentir l’air de leurs fanfares et les catholiques de leurs cris de joie. Le toit étant précipité, on attaqua les murailles; les uns les perçaient à coups de marteaux, les autres les sapaient, quelques uns avec avec le bélier les enfonçaient, et tous avec une fureur incroyable les renversèrent en présence de M. l’intendant qui les animait par des louanges et par les pièces d’argent qu’il distribuait à ceux non qui faisait le mieux, mais qui faisaient le plus. »
Les protestants qui assistaient au désastre restaient muets.
« Seule une vieille femme; dit Claparède, laissa échapper ce cri d’angoisse et d’indignation : « Eternel, dors-tu? » L »intendant voulut la punir sur le champ, mais sa femme obtint la grâce de cette femme ».
« La destruction des autres temples protestants du pays suivit de près la chute de celui de Gex. Dès le lendemain, d’après les ordres de l’intendant, on commença à répéter de village en village la scène qui s’était passée dans le chef-lieu. »
Fichtre! Pendant la nuit, à Gex, on avait pénétré dans les maisons où étaient remisés les outils des démolisseurs. On les avait subtilisés! Il s’avéra que les malfaiteurs étaient… les Huguenots de Divonne. L’intendant ordonna « que les archers et ouvriers iraient à Divonne pour vivre au dépens des calvinistes de ce village ». Le narrateur ne raconte pas comment se déroula leur installation ni comment le temple de Divonne fut démoli. Mais il rapporte que certains Huguenots gessiens, « appréhendant les grands frais qu’ils souffraient par le logement de tant de personnes » préférèrent démolir leur temple de leurs propres mains. Ainsi furent détruits les temples de Versoix, Grilly et Collex. Les catholiques, eux, abattirent les temples de Divonne, Cessy et Segny.
Il parait qu’au moment où les charpentiers montèrent sur le toit du temple de Segny, un gros chat-huant s’en échappa et s’envola vers Genève. « Le diable! » s’écrièrent les catholiques! Cela troubla les villageois et alimenta les conversations…
Le 30 novembre, jour de la Saint-André, devait être chômé. Pourtant « Monseigneur de Genève donna la permission de travailler à une oeuvre si avantageuse à la gloire de Dieu et fit concevoir que c’était parfaitement célébrer la fête du grand apôtre que de renverser ces lieux infâmes » et l’on détruisit le temple de Saconnex, « le plus proche des portes de Genève et à la portée de ses canons, ce qui causa un grand sujet de tristesse à Genève ». Saconnex, à l’époque faisait partie du pays de Gex. Le même jour, on rasa les temples de Pouilly, Sauverny, Pregny, Chevrier et Pougny. Le 1er décembre, on abattit ceux de Vernier, Meyrin, Thoiry, Crozet, Saint-Jean. Le 2 décembre, ceux de Péron, Farges, et Collonges. Fichtre! Les démolisseurs allaient vite en besogne!
Sur les 25 temples du baillage, 21 temples furent détruits en cinq jours. Les temples de Sergy et Ferney, « graciés » par Louis XIV, furent comme prévu, épargnés. D’après Théodore Claparède, deux autres temples ont échappé à la destruction : la chapelle de Crassier, qui appartenait au seigneur du lieu, et le temple de Challex qui faisait partie du mandement de Peney et relevait donc de la souveraineté de Genève .
Ce que François de Sales a souhaité, Jean d’Arenthon d’Alex l’a obtenu. « Il ne resta plus aux protestants que deux modestes enceintes dans lesquelles ils fussent autorisés à se réunir pour prier encore » (Claparède). Or les Protestants représentaient la large majorité de la population gessienne.
Les paroisses catholiques recréées par François de Sales au début du 17ème siècle, encore désertes en 1662, vont se remplir progressivement dans les décades suivantes.