Cet élégant bâtiment en pierre de taille, de style néoclassique, donne sur la place de l’église. Les lignes horizontales, majoritaires, sont surlignées d’ une manière qui rappelle Claude-Nicolas Ledoux. Le fronton arrondi et les oeil-de-boeufs circulaires adoucissent son aspect. Le bâtiment est inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques (arrêté du 29 mars 1994). A ce titre, les propriétaires l’ouvrent une fois par an, pour les Journées du Patrimoine pour une visite guidée très appréciée.
La villa Beaulieu a été construite vers 1770 (peut-être en 1772) par la famille Barberat (ou Barbezat) qui s’était enrichie grâce à son battoir sur la Divonne. La grande roue à aubes qui actionnait ce battoir existe toujours ; on la voit depuis le pont qui enjambe la Divonne, rue du Prieuré. Elle a été restaurée au 20ème siècle.
D’après l’association ARPADI, les Barberat font partie des Savoyards catholiques attirés à Divonne à l’époque de la Contre-Réforme dans le sillage du Comte de la Forest-Divonne avec l’objectif de « recatholiser » le Pays de Gex majoritairement protestant. Cette migration a profité aux Barberat puisque leur entreprise a prospéré au point qu’ils ont pu faire construire l’une des plus belles demeures du Pays de Gex.
En 1874, la demeure a été achetée par le comte Louis de La Forest-Divonne et la comtesse Claire de Maillé de la Tour de Landry qui l’ont revendue deux ans plus tard à la famille Grevaz, laquelle en a fait un hôtel-pension pour accueillir les curistes. L’hôtel est devenu saisonnier de 1987 à 1992. Il a fermé en 1992. La villa a été restaurée en 2012.
Voici l’avis de l’architecte des bâtiments de France (1994) :
« La villa présente une architecture ordonnancée peu commune : Les forts pilastres à bossage, le fronton cintré coiffant l’avant-corps de la façade principale, l’avant-corps en rotonde de la façade côté jardin ne sont pas sans rappeler pour un programme plus modeste mais néanmoins recherché, certaines dispositions du proche château de Voltaire, à Ferney, avant la transformation de la façade sud-ouest de ce dernier. (…) Cette maison est l’une des plus remarquables du Pays de Gex. Sur la place de l’église, deux pavillons, reliés par une grille en léger hémicycle, encadrent l’édifice et organisent une petite cour ouverte. (…) L’édifice a conservé pour l’essentiel son plan d’origine et de très beaux décors intérieurs. »
Décoration intérieure – Toile peinte (détail)
On notera quelques particularités architecturales. Le superbe salon qui s’ouvre côté sud sur le parc est de forme ovale, si bien qu’on l’a qualifié de « palladien ». On l’a même comparé, toutes proportions gardées, au « bureau ovale » de la Maison Blanche à Washington! Dans le grand hall d’entrée, l’escalier de pierre en « quart tournant » qui conduit au 1er étage ressemble à l’escalier du château de Divonne et à celui du château de Coppet dont il est quasi-contemporain.
Le salon ovale de la villa Beaulieu, côté parc
Si l’on observe le bâtiment voisin sur la place de l’église (le bâtiment de la poste), on observe que l’architecte qui l’a surhaussé lors de sa restauration a dessiné un rappel du fronton arrondi. Cette astuce donne à l’ensemble une touche d’élégance à laquelle les Divonnais feraient bien d’être attentifs.
La salle à manger, dans le salon ovale, quand la villa Beaulieu était un hôtel-pension.
Monsieur Grevaz évoque ses souvenirs dans le CD L’hôtellerie, les thermes enregistré en 1996 « Ecoute patrimoniale » réalisée par le mairie de Divonne :
« Avant guerre les pensions de famille à Divonne étaient semi-médicalisées. Il fallait s’occuper des clients jour et nuit. Le médecin passait tous les matins à bicyclette pour s’occuper de ses malades et donner ses consignes. On avait de grands malades… crises de nerfs… crises de pleurs… Chaque soir, il fallait ouvrir leur lit, faire les oreillers et le matin il fallait ramasser les chaussures devant la porte, les descendre, les cirer et les remonter. L’hôtellerie avant la guerre, c’était beaucoup plus dur que maintenant. Les hôteliers cherchaient à se prendre les clients. Les docteurs décidaient à quel hôtels ils envoyaient leurs patients… Quand j’étais gamin, ma mère faisait rôtir un poulet, le mettait dans un panier en le recouvrant d’un linge blanc et me disait : Tiens! mon petit! Porte ça au docteur Untel! Et je le portais pour dire « Ma maman attend que vous lui envoyez des clients ».
En 45, j’ai remis l’hôtel en route après la fermeture de la guerre. On travaillait en famille, avec mon frère et mes soeurs serveuses ou femmes de chambre… Ah! Le contrôle des prix! A mesure qu’il y avait une inflation de 12%, on donnait 4% d’augmentation… Finalement on n’investissait plus. Les repas étaient copieux et les clients exigeants. C’était dur! On faisait les entremets de cuisine. Personne n’aurait mangé de pâtisserie industrielle. Tous les légumes étaient frais. Il fallait commander les champignons de Paris. On n’en trouvait pas dans les magasins. Le 15 août, pour respecter la traditions, on faisait les bouchées à la Reine (les vraies), il fallait retenir les cervelles et le ris de veau 15 jours à l’avance. On n’avait pas de congélateur. Les clients étaient terriblement exigeants. Je veux MA chambre! Je veux MA table! C’était tout par 1 ou par 2, que des petits plats. Le plongeur n’avait que 2 bacs et pas de machine. (Les épinards hachés étaient sa hantise). Tard le soir, les employés étaient encore en train d’essuyer les couverts alors qu’ils avaient commencé à 7h1/2 du matin. Les employés travaillaient 12 à 13 heures par jour. Maintenant (en 1996) il faudrait une personne et demie pour remplacer un employé de l’époque. C’est un métier de main d’oeuvre. Il n’y a pas de machine à faire les lits. La fiscalité est telle actuellement (en 1996) que celui qui veut se cramponner à la tradition ne tient pas… »