Le bâtiment est toujours là, presque inchangé, mais son enseigne a disparu, et pour cause : l’hôtel a fermé en 1990. On devine encore (il faut être attentif) les mots « Villa Paris-Rome » gravés dans la pierre du portail.
La villa porte le nom d’une course d’aviation
Cette belle demeure avec son toit mansardé à la française et ses chaînes d’angle en pierre de taille a appartenu de 1915 à 1919 à René Vidart, le petit-fils du fondateur de la station, un pionnier de l’aviation. En 1911, René Vidart a participé au raid Paris-Rome, une des premières grandes courses d’aviation, organisée par le Petit Journal dans le cadre des festivités célébrant le cinquantenaire de l’Italie. Ils étaient 11 concurrents au départ, à Buc près de Paris, le 28 mai 1911. Quatre d’entre eux seulement sont parvenus à destination. René Vidart était le 4ème, derrière les grands héros de l’époque Beaumont, Garros et Frey. Il a atterri à Rome le 5 juin. Cet exploit sensationnel a été relayé avec enthousiasme par la presse internationale et salué à Divonne par des festivités. L’appellation Paris-Rome a été attribuée à la villa entre 1917 et 1919.
Voir la biographie de René Vidart sur le site pionnair-ge.ch : René VIDART (1890-1928), héros de l’air en 1911, moniteur à Ambérieu et blessé au champ d’honneur. avec 3 vidéos.
La villa s’était d’abord appelée villa Goudard
A partir de juin 1868, le diamantaire Eugène Goudard acheta en plusieurs étapes des parcelles et des bâtiments situés entre la grand’ rue et la Divonne. Il fit construire la villa, dite villa Goudard, qui était alors séparée de son voisin, l’hôtel de la Truite. Plus tard fut construit un bâtiment qui relia la villa à l’hôtel. Ce bâtiment abrita la mairie de Divonne de 1823 à 1857. Il fait partie maintenant de la villa.
Eugène Goudard, fils de cultivateurs né à Arbère en 1820, décédé en 1895, fut négociant lapidaire puis diamantaire. Il est considéré comme celui qui a introduit en France la taille du diamant. Sa réussite lui a permis d’acquérir à Divonne plusieurs propriétés d’importance. Il joua un rôle important dans le développement de Divonne. Voir notre article Eugène Goudard, diamantaire (1820-1895) a aimé Divonne.
La villa Goudard devient villa Paris-Rome
La fille d’Eugène Goudard, Marie-Louise, épousa Charles-Alfred Vidart, le fils du fondateur de la station, qui fut maire de Divonne de 1879 à 1888. La villa Goudard passa dans les mains de la famille Vidart. Charles-Alfred Vidart étant décédé en 1912, ses deux fils se sont trouvés propriétaires de la villa en indivision. René Vidart racheta la part de son frère, devint seul propriétaire en 1919 et nomma la villa Paris-Rome. Dès qu’il fut en possession de la villa, il la vendit à Mademoiselle Marie Bernard, laquelle y aménagea des chambres qu’elle loua aux baigneurs.
La villa se transforme en hôtel
Le 28 février 1924, Marie Bernard vendit la villa pour 165.000 francs à Marguerite, Hélène et Charles Paris, frère et soeurs, déjà propriétaires de l’hôtel-restaurant l’Ecu de France situé dans la même rue, de l’autre côté du parc et renommé pour son excellente cuisine. La villa Paris-Rome devint une annexe de l’Ecu de France. Dès lors on put voir des annonces comme celle-ci:
Hôtel de l’Ecu de France – Villa Paris-Rome
au centre de la ville
Renommé pour sa cuisine et ses vins
Restaurant à toute heure
Service à la carte et à prix fixes
Spécialité de truites et beignets
Maison de famille de premier ordre
Magnifique parc ombragé au bord de la Divonne
Paris-Baumgartner propriétaires
Marguerite a épousé un Alsacien, Isidore Baumgartner, qui, de simple employé deviendra directeur du Grand Hôtel, grâce à sa connaissance des langues étrangères.
L’Hôtel de l’Ecu de France vers 1900.
Et, plus tard, avec la pancarte » Truites, beignets de Divonne » :
On allait de l’Ecu de France à Paris-Rome en traversant le parc, toujours parfaitement entretenu et fleuri. On s’installait dans une chaise longue à l’ombre des grands arbres, on regardait les écureuils, on bavardait, on respirait le parfum des massifs, on prenait le thé, on écoutait la Divonne…
L’intérieur de l’hôtel avait le charme des maisons bourgeoises : tapis épais, tableaux, meubles reluisants, napperons de dentelle… Le corridor et les paliers étaient ornés de grandes glaces. Elles n’étaient pas là seulement pour la décoration. Elles servaient aussi à donner de la lumière, à agrandir l’espace et à signaler au personnel les déplacements des clients. Le petit déjeuner était servi dans les chambres, mais on pouvait aussi le prendre dans le grand salon du rez-de-chaussée, qui servait aussi de salle de réunion, avec sa bibliothèque bien garnie et ses jeux de sociétés.
Un standard téléphonique permettait au personnel de passer les communications extérieures dans les chambres, en commutant les fiches. « Ne quittez pas! Je vous passe une communication! » Ce système a fonctionné jusqu’à la fermeture de l’hôtel.
Juliette, la fille de Marguerite et Isidore Baumgartner, évoquait avec fierté les clients de Paris-Rome : « Saint-Exupéry a dîné souvent le soir à l’Ecu de France… Bernanos a logé 3 semaines en 1928 dans la chambre 11, il était très dépressif, il n’avait pas de quoi payer la note… Léon Blum a dîné une fois dans le petit jardin… Le Duc de Talleyrand et Vallencay venait souvent, en ami… »
Simone de Beauvoir raconte au début de ses « Mémoires d’une jeune fille rangée », qu’enfant, à Paris-Rome elle a fait son premier caprice!