En ouvrant un institut hydrothérapique à Divonne en 1849, le Docteur Paul Vidart s’avéra le 3ème médecin à appliquer en France la méthode de Priessnitz, après Baldou et Lubansky.
Le docteur Eudore Baldou avait introduit la méthode de Priessnitz en France en 1840, en fondant le premier institut hydrothérapique français au château de l’Arcade, dans le village des Ternes, actuellement un quartier de Paris. (L’entrée du château de l’Arcade existe toujours, rue Bayen dans le 17ème arrondissement). Quelques années plus tard, Lubansky ouvrait un établissement à Pont-à-Mousson et perfectionnait la méthode de Priessnitz en donnant une plus large part à la douche. Puis c’était au tour du docteur Paul Vidart de se lancer dans l’aventure, à l’âge de 32 ans, lorsqu’il transforma une papeterie désaffectée en institut hydrothérapique, dans un petit village inconnu à la frontière suisse…
Vive l’eau froide!
A peine le docteur Paul Vidart avait-il ouvert son institut, qu’il publiait déjà ses observations: « Études pratiques sur l’hydrothérapie, ou traitement des maladies par l’eau froide, observations recueillies pendant l’année 1850 à l’Institut hydrothérapique de Divonne ». L’année suivante, il publiait « De la cure d’eau froide – Compte-rendu des travaux effectués pendant l’année 1851 à l’Institut hydrothérapique de Divonne ». Chaque année, il complétait ses travaux. Il publiait quasiment un ouvrage par an! On peut lire plusieurs de ses ouvrages sur gallica, la Bibliothèque Nationale en ligne. Et l’on voit qu’il utilisait l’eau froide sous forme de douches (à colonne, en pluie, froide, chaude et froide alternative), bains partiels ou complets, enveloppements dans le drap mouillé, compresses, « ceinture mouillée », cataplasmes… selon la méthode de Priessnitz, avec également, toujours suivant Priessnitz, l’usage de la « sudation ».
Dans la préface de son édition de 1852, le docteur Vidart se lance dans une diatribe enflammée contre un détracteur de Priessnitz. Il démonte les critiques, apporte des arguments et des preuves et conclut son apologie de Priessnitz par ces mots : « Si je me suis placé comme le champion de Priessnitz, c’est que j’ai toujours eu horreur de l’injustice et que, plein d’une conviction profonde, j’ai pensé remplir un devoir sacré en rendant hommage à la vérité et à la mémoire de cet homme de bien ».
Qui était donc ce mystérieux Priessnitz?
Vincent (ou Vincenz ou Vinzenz) Priessnitz est né en 1799 à Gräfenberg, un hameau de la petite ville de Freiwaldau, en Silésie autrichienne, aujourd’hui Jesenik en République Tchèque, près de la frontière polonaise, dans le massif de Hruby Jesenik. Climat continental, vie dure dans cette contrée montagneuse. Les parents de Vincent étaient des paysans. Vincent avait 8 ans quand son père devint aveugle. Quatre ans plus tard, son frère aîné tomba malade et mourut. Vincent estima qu’ils avaient été mal soignés. Il prit en grippe la médecine officielle aussi bien que les conseils des guérisseuses.
Vincent quitta l’école très tôt. A la mort de son frère aîné, il dut prendre en charge son père aveugle, sa mère et sa soeur. Il n’eut pas le temps d’apprendre vraiment à lire et écrire. On le dit quasiment illettré. Cependant, n’était pas sans éducation et surtout il observa attentivement les phénomènes naturels et la vie des animaux. A l’âge de 14 ans, blessé à la main, il se soigna seul à l’aide de compresses froides. Deux ans plus tard, il fut victime d’un accident. Alors qu’il transportait du bois, son cheval s’emballa, le renversa et il faillit être écrasé par son chariot. Le choc lui défonça le torse. La guérisseuse déclara ses blessures incurables. Le médecin lui prédit la mort ou, à la rigueur, la paralysie… Vincent méprisa ces sinistres prédictions et cette fois encore, il se soigna seul, à l’eau froide, tout simplement. Il avait observé comment un chevreuil qui s’était cassé une patte, s’était rétabli en trempant sa patte dans l’eau fraîche d’une source. Vincent appliqua sur sa blessure des compresses d’eau froide, il s’enveloppa le torse dans un drap mouillé qui lui maintenait les côtes, et… il guérit! La nouvelle se répandit et fit sensation. Ses voisins venaient désormais le consulter… Vincent commença par soigner les animaux de ses voisins, puis il se mit à soigner les habitants de Gräfenberg. Il appliquait des compresses d’eau froide; il douchait les malades avec un arrosoir, il les installait dans un baquet rempli d’eau froide et les massait ; il les enveloppait dans un drap mouillé et les faisait transpirer jusqu’à évacuation de la maladie. (Notons qu’en Europe Centrale l’usage des bains froids et des étuves était courant dans les campagnes ; on ne craignait pas l’eau froide, on savait que transpirer permet d’éliminer.) Vincent soigna à l’eau froide ses voisins, puis des habitants des villages alentours, puis des malades qui venaient le consulter de plus loin, et finalement même des personnalités de Vienne… Il fit agrandir sa maison. Il y aménagea des chambres pour recevoir ses patients. Il embaucha du personnel.
La maison natale de Vinzenz Priessnitz. En 1822, elle se transforma en maison de soins.
Sur ce dessin, on voit la pratique du « drap mouillé ». Le malade est complètement entortillé dans un drap mouillé. Il restait ainsi emmailloté et immobile pendant plusieurs heures, jusqu’à ce qu’il transpire à grandes eaux…
En 1829, Priessnitz commença à recevoir des malades de l’étranger. Leur nombre augmenta rapidement et passa de 45 en 1829 à 1576 en 1840. On construisit des bâtiments pour les accueillir. Il était difficile de loger correctement tant de monde et des seigneurs durent se contenter de petites chambres. On raconte que des princes de la maison Esterhazy, n’ayant pas trouvé de chambre disponible à Gräfenberg, ont été réduits à dormir dans un escalier! L’engouement était extraordinaire. Parmi les personnalités venues de Russie, on cite l’écrivain Gogol.
Les médecins, eux, n’appréciaient pas du tout ce succès. Ils accusèrent Priessnitz de charlatanisme, déposèrent plainte contre lui, mais ne purent rien prouver. Ils soupçonnèrent les éponges utilisées par Priessnitz de contenir des substances prohibées. On disséqua les éponges. On ne trouva rien. Priessnitz parvint même à ridiculiser les médecins : il n’utilisait que de l’eau ; l’eau de source serait-elle nuisible? Un médecin de Freiwaldau revendiquait la guérison d’un meunier qui avait souffert de la goutte et avait été guéri par Priessnitz. L’affaire fut portée devant le tribunal. « Qui de ces deux messieurs vous a guéri? » demanda le président. « Les deux, répondit le meunier. Le médecin m’a guéri de mon argent. Monsieur Priessnitz m’a guéri de la goutte »…
Une douche de Vincent Priessnitz
A Gräfenberg, les soins par l’eau était complétés par une hygiène de vie. Il fallait manger sainement, respirer l’air pur, faire de l’exercice et transpirer. En témoigne le livre du docteur Bigel : « Manuel d’hydrosudopathie ou traitement des maladies par l’eau froide, la sueur, l’exercice et le régime, suivant la méthode employée par V. Priessnitz à Graefenberg » – (Bruxelles, librairie Deprez-Parent 1841). En tous cas ces conseils de bon sens furent efficaces. Les petites gens, les notoriétés, les grands bourgeois, les nobles se pressèrent à Gräfenberg pour recouvrer la santé. La réussite de Priessnitz attira l’attention des puissants. Le prince de Nassau fit construire une route carrossable pour desservir Gräfenberg. L’archiduc Franz Carl rendit visite à Priessnitz et en fit l’éloge en haut lieu. L’empereur, même, remit une médaille à Priessnitz et ses encouragements permirent l’ouverture d’une maison de soins qui accueillit 1500 patients par an, venus de toute l’Europe!
On s’étonne d’un tel succès car les curistes à Gräfenberg étaient soumis à un régime spartiate difficile à supporter: régime alimentaire strict, lever à 4h30 du matin, épreuve du maillot dès le lever, douche froide sous cascade en pleine nature (brrr!), exercice quotidien obligatoire (il parait que les malades étaient obligés de scier ou fendre du bois!)… les malades étaient occupés jusqu’à 10 heures du soir. Si l’inaction était la cause de leur maladie, un tel régime devait en effet les remettre sur pied! Ces procédés n’aggravaient-ils pas la maladie? Citons le docteur Bottey : « Les idées de Priessnitz en médecine étaient absolument grossières, puisqu’il considérait le corps humain comme une éponge qu’il s’agissait de nettoyer par l’eau froide. Ses divers procédés hydriatriques étaient presque invariablement appliqués à tous les malades. Cette uniformité, jointe à l’exagération de ses pratiques, lui a certainement apporté plus d’un déboire, que les historiens complaisants ont dû passer sous silence. Nous signalerons également les nombreuses crises, telles qu’éruptions cutanées, furoncles, abcès, salivation, vomissements, diarrhée, flux hémorroïdal, fièvre, etc., que Priessnitz considérait comme des phénomènes favorables, et qui, en somme, n’étaient que des accidents provoqués par l’uniformité et l’exagération de ses procédés. »
Aujourd’hui, Gräfenberg, devenue Jesenik, est une station thermale renommée pour les vertus thérapeutiques de ses eaux minérales. Les succès de Priessnitz ont-ils eu pour cause les vertus curatives des sources locales?
Vinzenz Priessnitz mourut en 1851. On le considère comme le fondateur de l’hydrothérapie moderne. En tous cas, c’est lui qui a lancé l’hydrothérapie moderne. Plusieurs villes (Jesenik, Vienne, Leipzig…) lui ont élevé un monument. Aujourd’hui encore, en République Tchèque quand les enfants sont malades, on les entortille dans un drap mouillé pour faire baisser leur température. On appelle cette médication « l’enveloppement de Priessnitz ».
et voici l’établissement thermal de Jesenik aujourd’hui :
Le docteur Paul Vidart en appliquant la méthode de Priessnitz à Divonne dès 1849 a joué un rôle déterminant dans l’évolution du thermalisme français, d’autant plus que l’établissement divonnais est devenu immédiatement célèbre, grâce au soutien de l’Académie de Médecine de Genève. Les médecins qui ont succédé au docteur Vidart ont continué à adapter, améliorer les préceptes de Priessnitz, en particulier le docteur Fernand Bottey qui fut médecin thermal à Divonne de 1886 à 1900 et publia une dizaine de livres de médecine dont neuf sur l’hydrothérapie.
Le docteur Paul Vidart utilisait-il le procédé du « maillot »?
Citons le Docteur Rillet dans son rapport à l’Académie de Médecine de Genève en 1850 : « Les enveloppements dans le drap mouillé ou dans la couverture de laine, les applications froides de toute espèce, excitantes ou calmantes, les bains locaux les plus variés, les injections, etc., sont, il va sans dire, en grand usage à Divonne. C’est dans leurs chambres que les malades exécutent cette partie du traitement. (…) Le premier et le second étage des bâtiments sont occupés par 60 chambres très-convenables et bien disposées pour y trouver le confortable pendant les cures d’hiver ; 35 chambres sont pourvues de cheminée. Un large escalier fait communiquer cet étage avec le rez-de-chaussée ; mais les procédés hydrothérapiques et la sudation en particulier réclamaient un autre mode de communication. M. Vidart a fait, à l’instar de plusieurs établissements hydrothérapiques ( Marienberg, Bretiége ), construire une trappe au moyen de laquelle les étages supérieurs communiquent directement avec le bas de la maison ; un fauteuil, mu par un appareil convenable, reçoit les malades tout emmaillotés, et les descend de leurs chambres aux bains ou à la douche du rez-de-chaussée. Cette trappe, qui livre passage au fauteuil aérien, n’a rien d’effrayant. Pour transporter les malades de leur chambre aux bains, on se sert aussi à Divonne de fauteuils ou chaises à porteurs absolument semblables à ceux qui sont en usage aux eaux d’Aix. Les malades que j’ai vus à Divonne m’ont dit que l’enveloppement s’y faisait fort bien, et ce n’est pas une petite affaire que de bien envelopper son malade. »