Pierre Larousse a fait une cure à Divonne de novembre 1872 à mars 1873. Il s’était lancé dans une aventure titanesque : la rédaction d’un dictionnaire qui parlerait de tout et qui serait une description du monde. « Instruire tout le monde et sur toute chose », telle était sa devise. Il travaillait 16 à 18 heures par jour… Après deux congestions cérébrales, son médecin l’a envoyé se soigner à Divonne auprès du docteur Paul Vidart. Là, le grand encyclopédiste, paralysé, désespéré de ne pouvoir poursuivre son Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle n’avait qu’un souhait, rentrer à Paris pour pouvoir travailler…
Informations communiquées par Micheline Guilpain-Giraud,
présidente de l’association Pierre Larousse,
basée à Toucy, dans l’Yonne, ville natale de Pierre Larousse.
Le 12 juillet 1867 (il a 50 ans), Pierre Larousse écrivait à un ami : « J’ai été frappé, il y eu mardi huit jours, d’une assez forte congestion cérébrale, en chemin de fer. Immédiatement les sangsues ont rempli leur fonction et, grâce à Dieu, le petit bonhomme vit encore, mais il est très faible, avec des fourmillements continuels dans toute la partie gauche du corps… » Fin octobre, il est victime d’une deuxième congestion qui laisse des séquelles importantes. Son médecin de famille lui ordonne du repos loin de Paris. Il s’installe en famille à Nice pour un séjour de trois mois. Son état de santé ne s’améliore guère. Ecrire quelques lignes lui demande de gros efforts. Il trouve le temps long. Son épouse doit être auprès de lui constamment, nuit et jour.
Du 13 août au 6 septembre 1872, cure à Plombières. Larousse prend deux douches par jour. Son épouse le frictionne au gant de crin. « Je marche en traînant un peu la savate » dit-il. Son écriture est incertaine. Il n’est pas rétabli. Son médecin de famille l’envoie à Divonne où il bénéficiera des soins attentifs du docteur Paul Vidart, du 10 novembre 1872 au 12 mars 1873.
L’Institut hydrothérapique du docteur Paul Vidart en hiver
Il semble que Pierre Larousse n’ait guère apprécié sa cure à Divonne… Ses lettres ou celles de son épouse datées de Divonne révèlent beaucoup de souffrances dues au traitement bains chauds>bains glacés et à la gravité de la maladie. Mme Larousse ajoute en bas d’une lettre, en cachette de son mari, que le Dr Paul Vidart ne croit pas à la guérison.
Pierre Larousse ne peut presque plus marcher. Les lettres mentionnent des promenades quotidiennes dans le parc (2 à 3 heures par jour) dans une petite voiture, accompagné d’un jeune homme; elles sont un moment de distraction pour Larousse mais ses difficultés à marcher le rendent irritable… à un point que le Dr Paul Vidart se heurte au caractère de son patient pas patient du tout!
Le traitement imposé est très dur : « Tous les jours à dix heures du matin il prend deux bains : l’un d’eau chaude, l’autre d’eau glacée. On le sort de l’un et on le plonge dans l’autre. J’en ai mal à son pauvre corps de le voir souffrir ainsi. » (Lettre de sa femme du 15 décembre). « Il ne peut presque plus marcher. » (21 janvier 1873).
Larousse aimait la campagne et la nature mais c’était un bourreau de travail et son Grand Dictionnaire était en plan et inachevé, ce qui lui faisait sentir l’éloignement de son bureau insupportable. “Nous trouvons le temps long”, “Nous sommes éloignés de tout”… ”Temps affreux : du vent et de la neige toute la journée” (21 janvier 1873).
Pierre Larousse reçoit de mauvaises nouvelles de chez lui. Sa mère et son beau-frère sont décédés sans qu’il puisse assister aux obsèques. Ces disparitions d’êtres chers s’ajoutant aux aggravations de la maladie et au climat rigoureux de l’hiver, détruisent encore plus la santé de notre lexicographe. Plusieurs lettres de Pauline en font mention : « Il est beaucoup plus irrité. » (19 décembre 1872) -« Nous trouvons le temps bien long, il ne se passe pas de jour que ton oncle n’entre dans des colères blanches pour les choses les plus futiles (…) A la suite de ces colères ce sont quelquefois des pleurs ou de la prostration. » (25 décembre 1872)
Mais il est noté aussi qu’il accepte les efforts pour supporter le traitement (2 bains par jour au lieu d’un) car “il veut absolument guérir pour être à Paris le plus tôt possible” (3 février).
Le 15 février: “Monsieur Vidart est un homme charmant”. Les rapports ont d’ailleurs l’air excellents entre eux malgré les sautes d’humeur de Larousse : le fils de M. Vidart qui habite Paris est chargé de commissions lorsqu’il vient à Divonne (30 décembre) et repart à Paris (2 janvier)… D’ailleurs le docteur Vidart a accepté une effraction au régime : Pierre Larousse peut boire chaque jour un peu de ce Bordeaux qu’il aime tant et manger « des bonbons faits avec de la gomme qui ressemblent à des framboises ».
La dernière lettre de sa femme, datée du 12 mars 1873, est tragique : « … à neuf heures du soir, ton oncle a perdu l’usage de la parole. Nous avons eu bien peur : heureusement qu’à la suite d’une application de rigolo sur les deux jambes, des lotions d’eau froide sur la tête et plusieurs remèdes administrés promptement, les symptômes les plus alarmants ont disparu. » Cette fois, c’en est trop, Pauline demande au neveu Jules de venir les chercher sans attendre, elle a trop peur que son malade ne soit plus transportable.
Doté, malgré tout, d’une robuste constitution, Pierre Larousse survivra vingt-deux mois après son retour à Paris. Ironie du sort, le Docteur Vidart, lui, décèdera subitement le 26 décembre 1873.
Micheline Guilpain-Giraud,
présidente de l’association Pierre Larousse
Précisions en post-scriptum : Le Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle a été terminé trois ans après le décès de Pierre Larousse, par son neveu, Jules Hollier qui fut l’un des directeurs et administrateurs de la Librairie Larousse. Il compte 15 volumes + 2 suppléments. Le Petit Larousse illustré, publié pour la première fois en 1905, est l’œuvre de Claude Augé.