Le Nouvel Hôtel, plus connu sous le nom de Chicago,
restauré depuis 2000 en immeuble d’appartements, La Résidence du Parc.
1905 : Charles Duborgel, le directeur de la Société des Bains a des soucis.
Il alerte individuellement les membres du Conseil d’Administration. « Ce n’est plus possible de contenter la clientèle! leur dit-il. Elle devient chaque jour plus exigeante! La vieille maison ne convient plus! » Il insiste tant et si bien que le Conseil d’Administration, qui siège d’ordinaire à Paris, se réunit à Divonne le 20 septembre 1905 et décide la construction « d’un bâtiment avec de beaux appartements ».
Le Conseil convoque l’architecte genevois Frantz Fulpius.
Le jeune Frantz Fulpius a déjà co-signé des bâtiments importants à Genève avec son père Léon Fulpius, architecte réputé. Il fait partie du Conseil Municipal (plus tard, il sera élu député au Grand Conseil genevois). La Société des Bains a apprécié sa valeur quand il a collaboré avec Duval de Paris sur la construction du théâtre. Monsieur Fulpius voudra-t-il à nouveau collaborer avec Monsieur Duval? Réponse catégorique : « Je refuse de travailler avec des architectes parisiens! » Frantz Fulpius sera donc seul l’auteur du Nouvel Hôtel (en s’appuyant sur l’entreprise familiale) alors que plusieurs architectes parisiens étaient sur les rangs. On détermine l’emplacement du futur hôtel. On étudie les plans.
Réunion du Conseil d’Administration le 28 juillet 1906 : les grandes lignes sont tracées. Ce sera un grand hôtel de 44 mètres de long sur 18 mètres de large, avec 4 étages de chambres, 16 appartements complets, 70 à 75 chambres dont 10 à cheminée par étage, avec chauffage central. Il faut s’engager dans un emprunt de 500.000 francs. Ce n’est pas rien. Le 18 septembre, Charles Duborgel, accompagné de deux administrateurs va visiter plusieurs hôtels à Montreux et Territet pour s’en inspirer. Ils observent en particulier le fameux Palace de Montreux de la cave au grenier. « C’est du confort moderne de premier ordre, reconnaissent-ils, mais d’un luxe inutile à Divonne. » Le futur hôtel divonnais aura eau chaude et eau froide dans tous les cabinets de toilette, chauffage à vapeur dans tout l’hôtel, et, le nec plus ultra, des ascenseurs. Le 21 octobre, c’est parti! Le Conseil fait piqueter l’emplacement définitif.
Hélèna Schilizzi est la marraine du futur hôtel.
Le 3 novembre 1906, une cérémonie officialise la pose de la première pierre. On choisit pour marraine une élégante curiste de 33 ans, Helena Schilizzi. « Mes ancêtres étaient byzantins et mes parents originaires de l’île de Chios. Bien que née à Londres, je suis donc grecque. Cinq années de ma jeunesse furent perdues à me soigner d’un goitre exophtalmique. Bien décidée à ne pas me laisser opérer, j’errai de pays en pays, de médecins en médecins. J’échouais à Divonne-les-Bains, station très élégante où étaient parqués ceux que l’on appelait les « toqués de Divonne ». On m’infligea des enveloppements bi-quotidiens et glacés qui me restituèrent mon regard et ma sérénité. »
Cette jeune femme de caractère, cultivée et pleine de fantaisie ne manquait pas de prétendants, mais elle tenait à rester célibataire. Elle considérait que le mariage n’est que la longue et ennuyeuse expiation de la lune de miel! Pourtant… quand elle fit la connaissance de l’homme politique grec Elefthérios Venizélos, de vingt ans son aîné, homme d’exception (on le considère comme le fondateur de la Grèce moderne), elle se mit à douter de vouloir rester célibataire… Elle hésita longtemps avant de se résoudre à l’épouser. Elle décrit le chamboulement de sa vie dans ses mémoires, A l’ombre de Veniselos. Leur rencontre n’a pas eu lieu à Divonne. Quel dommage pour le roman divonnais!
On joua au piano une valse composée par Gustave Richard, un musicien Divonnais organiste à Genève. Ce Gustave Richard était sans doute un original bien sympathique pour qu’on lui écrive un courrier avec une adresse ainsi formulée : Monsieur Gustave Richard, poète satirique, publiciste, propriétaire, écrivain, bibliothécaire et pianiste compositeur – Chalet du Mont-Blanc – Divonne-les-Bains.
Notons que Hélèna Valse est son opus N° 42.
Le 27 avril 1907, on décida de donner définitivement au nouvel hôtel le nom de… Nouvel Hôtel! Les Divonnais et les baigneurs avaient plus d’imagination que les administrateurs… Ils l’appelleront Hôtel Hélène – Grand Nouvel Hôtel –
Hôtel du Parc… Pour les Divonnais, il reste Le Chicago.
Les entrepreneurs sont Cuénod de Genève et Charles Wiest de Divonne.
L’électricité est fournie par l’usine électrique de la Société des Bains située au Moulin David. C’est l’usine qui a été restaurée par l’association Divonnelectro. On voit sur le tableau de distribution qui dispatchait le courant continu vers les hôtels de la Société des Bains, à droite la sortie vers le Nouvel Hôtel.
Septembre 1907 : fin du gros-oeuvre
On dresse un sapin fleuri et des drapeaux sur le faîte du toit et on organise une petite fête, comme il se doit. Charles Duborgel offre aux tailleurs de pierre, maçons, charpentiers et couvreurs une collation et une prime : le salaire d’une journée de travail. Le doyen, le père Duprat remercie le directeur au nom de tous les ouvriers.
Le gros-oeuvre est terminé. Maintenant, c’est aux menuisiers, vitriers, ferronniers et décorateurs de travailler! Ces artistes déploieront des trésors d’invention. La décoration en fer forgé des balcons et de la cage d’ascenseur sera différente à chaque étage.
Le Nouvel Hôtel ouvre au début de la saison 1908. Abbas Hilmi II, Khédive d’Egypte, sera parmi les premiers clients.
Vous trouverez bien d’autres renseignements sur ce beau bâtiment Art Nouveau dans le livre que Sabine Jordan-Johnson a publié en 2015, Le Chicago – L’histoire de l’ancien Nouvel Hôtel à Divonne-les-Bains, en vente à la librairie Page à Page, rue de Genève à Divonne-les-Bains.