Article rédigé à partir des renseignements trouvés par Jacques Pierron
(association ARPADI) aux archives de l’Ain et de la mairie de Divonne.
La villa Beaujeu, rue Voltaire, se cache derrière les arbres de son parc. Elle ne fut pas toujours aussi silencieuse. Quand elle était une maison de santé, jadis, on y venait en omnibus. Plus tard, résidence privée, elle accueillit des aristocrates en calèche. Puis elle se transforma en casino et reçut un va-et-vient de visiteurs qui venaient jouer au bésigue ou au piquet. Au fait, est-ce le casino qui lui a donné le nom de Beaujeu ?
Une maison de santé
Un médecin genevois, le docteur Antoine Panthin, acheta en 1835 un terrain de 45 ares au pied du mont Mussy. Il y établit un établissement de soins. L’architecte en était probablement son beau-frère, François Ulrich Vaucher (ou bien son oncle, Jean-Jacques Vaucher?). Le docteur Panthin pratiquait l’homéopathie, une méthode encore jeune, dans laquelle il s’était passionnément engagé. Voir sa biographie Antoine Panthin, homéopathe genevois par Albert-André Genel.
Quelques années seulement après son installation, le docteur Panthin mit en vente pour 26.000 francs sa propriété dite à l’époque « Maison Panthin ».
Pourquoi pas une école ?
La municipalité souhaita acheter la villa ; elle cherchait un nouveau local pour son école, le sien « étant trop petit, humide et peu aéré ». Conseil Municipal du 10 août 1843 : « Cette maison est neuve, vaste, bâtie solidement et finie dans tous les détails, isolée, placée dans un lieu élevé, saine et parfaitement éclairée, située entre Arbère et Divonne, les villages les plus populeux de la commune, ayant une petite fontaine jaillissante, entourée d’environ 60 ares d’un excellent terrain ; une partie de ce terrain pourra être revendue, il en restera assez pour faire une cour pour les enfants et un vaste jardin où l’on pourra facilement établir un cours d’horticulture. (…) Le Conseil municipal est d’avis que l’on ne doit pas laisser passer l’occasion de faire une acquisition très convenable pour la commune, etc. »
La maison de santé du docteur Vidart
C’est un jeune médecin, le docteur Paul Vidart qui acheta la villa. Il s’intéressait à l’hydrothérapie, cette méthode de soins lancée quelque vingt ans plus tôt en Silésie autrichienne par Vincent Priessnitz.
« La position de cette habitation est des plus heureuses, écrivit le docteur Paul Vidart. En effet, située au pied du Mont Mussy, sur le versant oriental du Jura, près des sources de la Versoix, on y respire un air salubre et bienfaisant, et d’un seul coup d’œil on peut embrasser toute la chaîne des Alpes. »
Dans ce cadre idyllique, le docteur Paul Vidart «donne à l’établissement la même destination que par le passé», c’est-à-dire qu’il recevait des pensionnaires à qui il proposait des cures de lait d’ânesse et de lait de chèvre. Il leur conseillait aussi des promenades «délicieuses» et des excursions. Il organisait pendant la belle saison un omnibus deux fois par semaine pour attirer les Genevois via Coppet.
L’hydrothérapie est-elle efficace ? Peut-elle guérir toutes les maladies ? Le docteur Paul Vidart teste. Il réfléchit, associant parfois l’hydrothérapie à l’allopathie ou à l’homéopathie. (Albert-André Genel, «Guérir par l’eau froide»). Ses recherches à la villa Panthin durent 3 ou 4 ans. Il écrit en 1849 avoir « étudié avec soin et impartialité l’hydrothérapie pendant 6 ans. Le succès, écrit-il dépassa mon attente et dès lors donnant une forme à mes projets depuis si longtemps élaborés, je résolus de fonder un établissement hydrothérapique aux sources-même de la Versoix. » En 1849, le docteur Paul Vidart ouvrit un Institut hydrothérapique au village : ce fut le démarrage de Divonne comme station thermale. De son côté, le docteur Panthin s’était installé à Genève et poursuivait ses recherches sur l’homéopathie.
Une résidence d’aristocrates
Le docteur Paul Vidart exploitait l’institut hydrothérapique de Divonne depuis 13 ou 14 ans déjà, lorsqu’en 1863 il vendit la maison Panthin à Caroline Bludhorn, épouse d’Antoine Scipion du Roure, baron de Beaujeu. C’est eux qui l’appelèrent « villa Beaujeu ». Caroline et Scipion du Roure, barons de Beaujeu étaient par ailleurs propriétaires du superbe château de Barbegal près d’Arles.
La propriété comprenait « une maison d’habitation élevée sur caves voûtées, jardin, bosquets, cour, avenue, pré, verger avec fontaine jaillissante, écurie, remise et dépendances. » La baronne de Beaujeu embellit la villa avec un balcon-terrasse et agrandit la propriété en achetant des vignes sous Vigny.
Les barons de Beaujeu ne séjournaient pas toute l’année à Divonne. Pourtant avec leurs amis les comtes de La Forest-Divonne, propriétaires du château de Divonne, ils constituaient le noyau d’une société aristocratique et élégante. Vers 1870, ils firent construire une chapelle dans leur parc.
Détail d’un vitrail de la chapelle. Verre double gravé à l’acide.
Caroline du Roure de Beaujeu vendit la propriété en 1884 à un médecin homéopathe anglais, Mathias Roth. Les filles de Mathias Roth héritèrent de la propriété en 1894.
La villa Beaujeu se destine au jeu !
Le 9 août 1912, la municipalité de Divonne obtint du Ministère de l’Intérieur l’autorisation qu’elle demandait depuis longtemps d’ouvrir un casino municipal à Divonne. Elle choisit pour l’installer la villa Beaujeu qu’elle acheta en 1913. La gestion du casino municipal était confiée à la Société Immobilière et d’Exploitation du Casino de Divonne-les-Bains. Un cahier des charges rigoureux fixait le montant de la « subvention » annuelle que le casino devait verser à la ville. Cette subvention devait augmenter tous les cinq ans.
Les jeux pratiqués étaient :
boule,
baccara à deux tableaux,
baccara chemin de fer et écarté,
whist,
bridge,
bésigue et piquet.
Le casino municipal de Divonne n’a pas eu de chance… A peine avait-il eu le temps de démarrer que la guerre éclata. Il dut fermer et ne reprit qu’en 1921, sans grand succès, semble-t-il. Les délibérations municipales révèlent que le directeur du casino demandait chaque année à la municipalité soit la remise de sa « subvention », soit un dégrèvement.
Le casino municipal ouvrait pendant la belle saison. On y organisait des spectacles, des concerts, des fêtes de charité. On y dansait. Il commença à dépasser ses problèmes financiers, semble-t-il en 1927. Mais il n’eut pas le temps de profiter de son succès : le krach financier de 1929 lui fit perdre ses joueurs fortunés : les Américains qui constituaient une part importante des baigneurs quittèrent Divonne.
Le 8 août 1934, un encart dans le Journal de Genève annonça : « Le casino municipal de Divonne-les-Bains a dû fermer ses portes. Plainte en escroquerie a été adressée au parquet du Procureur de la République contre le Conseil d’Administration par le personnel. » Quelle escroquerie ? Pourquoi ce joli casino n’a-t-il pas connu la réussite, alors que Divonne était en plein développement avec son superbe golf, ses hôtels de luxe, ses restaurants réputés que fréquentaient les messieurs de la Société des Nations ?Mystère…La villa Beaujeu se tait. Elle garde ses secrets. Seuls les arbres plus que centenaires se souviennent des scènes romanesques dont ils furent témoins…
Voir l’article Le casino municipal (1912-1934)