Le casino municipal (1912-1934)

Le docteur Edouard Vidart a publié en 1897 une brochure décrivant l’établissement thermal de Divonne dont il était le médecin chef. Après avoir présenté les équipements et les traitements, il énumérait les distractions. « Heureusement, s’exclamait-il, le progrès de la civilisation balnéaire ne nous a point encore donné de casino ! »
Quelques années plus tard, le docteur François Roland dans son livre Les cures à Divonne conseillait aux baigneurs de « se coucher tôt et déviter les tracas, les préoccupations et les émotions asthéniques (haine, jalousie, colère, déceptions). » Pas de jeux de hasard, donc ! Les médecins thermaux estimaient qu’un casino serait néfaste aux baigneurs.

La municipalité de Divonne ne l’entendait pas ainsi. Elle pensait qu’un casino attirerait des étrangers fortunés, hisserait Divonne au rang des grandes stations thermales et serait une source de revenus pour la commune. Le 13 novembre 1900, Ferdinand Branchu, maire de Divonne, adressa un courrier au Ministre de l’Intérieur lui demandant l’autorisation d’ouvrir un cercle des étrangers et d’y installer un appareil dit des petits chevaux.
Pas de réponse.
Berthe écrivit à Gontran :
Imaginons le maire Ferdinand Branchu : « Monsieur le Ministre ! Napoléon a autorisé dans un décret de 1806 « les maisons de jeux de hasard dans les lieux où il existe des eaux minérales.»  Divonne devrait donc avoir une maison de jeux de hasard. »
Pas de réponse.
Les années passèrent… Les hôtels poussèrent… Les maires changèrent…
Berthe écrivit à Gontran :
Imaginons le maire Charles Marie Girod : « Monsieur le Ministre ! Sachez que Divonne-les-Bains répond aux critères exigés par la loi du 15 juin 1907 ! Permettez-moi de vous rappeler cette loi : « Une autorisation temporaire d’ouvrir au public des locaux spéciaux, distincts et séparés où sont pratiqués certains jeux de hasard peut être accordée, sous certaines conditions, aux casinos des communes classées stations balnéaires, thermales ou climatiques. » Or, Divonne est une station thermale. Fichtre ! »
L’autorisation ne venait toujours pas.
Berthe écrivit à Gontran :
Imaginons le maire Eugène Olivet : « Voyons, Monsieur le Ministre ! Les casinos ne sont pas des lieux de déperdition. Nous organiserons des fêtes de charité. Nous ferons honneur à la République en fêtant dignement le 14 juillet. »
Toujours pas d’autorisation.

Saperlipopette ! Qu’est-ce qui retenait le Ministère de l’Intérieur d’accorder à la municipalité de Divonne l’autorisation d’ouvrir un casino?
Nous trouvons la raison dans la délibération de la Société Anonyme de Divonne-les-Bains du 28 avril 1912 : « Malgré les démarches faites à Paris pour contrecarrer le projet d’ouverture d’un casino dit municipal avec jeux, le Maire de Divonne vient de rentrer de Paris avec l’autorisation demandée par les fondateurs du Casino. Les Bains auront à se garer contre toutes les difficultés que cette institution va nous créer. Il faudra jouer serré pour leur rendre leur projet difficile et éviter autant que possible le changement de physionomie que risque Divonne. »
Ainsi donc, les administrateurs de la Société des Bains bloquaient les démarches du maire de Divonne à Paris en faisant jouer leurs relations. Les gredins ! Ils ne voulaient pas d’établissement qui leur fasse concurrence. Ils pensaient peut-être qu’un casino serait contraire à la bienséance et nuirait à l’image de leur établissement thermal.
Surprise! Berthe écrivit à Gontran :
En effet, le conseil municipal avait négocié avec un homme d’affaire. Le 14 février 1912, sous la présidence de son maire Eugène Olivet, il avait renouvelé l’autorisation d’ouvrir un casino à la Société Immobilière et d’Exploitation du Casino Municipal de Divonne-les-Bains fondée par Monsieur Détraz. C’était préparer le terrain pour l’autorisation du ministère.

Champagne pour tout le monde!
Le 9 août 1912 le Ministère de l’Intérieur accorda enfin à la Société Immobilière et d’Exploitation du Casino Municipal de Divonne-les-Bains l’autorisation, d’ouvrir au public des locaux où pourront être pratiqués les jeux suivants : boule, baccara à deux tableaux, baccara chemin de fer et écarté, whist, bridge, bésigue et piquet. Autorisation valable pour quatre ans.

La partie de bésigue Gustave Caillebotte 1881

Action de 100 Francs au porteur
Société Immobilière et d’Exploitation du Casino Municipal de Divonne-les-Bains.
Date de création : 1912. Siège : Divonne-les-Bains, villa Beaujeu
Capital 700.000 Francs.

Villa Beaujeu : Quel joli nom pour un établissement de jeux !
Le casino est installé un peu à l’extérieur du village, dans une villa entourée d’un beau parc qui tient son nom d’une ancienne propriétaire, Caroline du Roure, baronne de Beaujeu (près d’Arles). Voir notre article La villa Beaujeu.
Cahier des charges :
Le casino portera le nom de Casino Municipal de Divonne-les-Bains ; il ouvrira du 15 mai au 15 octobre ; les jeux pourront rester ouverts jusqu’à deux heures du matin pendant les fêtes ; la tenue devra être irréprochable ; le personnel devra être français et d’une honorabilité absolue ; la Ville se réservera une fois par saison la libre disposition des locaux et du personnel artistique pour l’organisation d’une grande fête de charité au bénéfice d’œuvres de bienfaisance.
En retour, le casino s’engage à payer à la Ville une redevance annuelle de :
2.500 francs les 5 premières années,
3.000 francs les 5 années suivantes,
3.500 francs les 5 années suivantes,
4.000 francs les 5 années suivantes, etc.
Ceci pendant 30 ans.
En outre, bien entendu, le casino versera à la Ville la redevance fixée par le décret du 21 juin 1907 (15 % sur le produit des jeux).
Un court bonheur interrompu par la guerre
Les débuts de la troupe de comédie du casino connurent le succès, nous le savons par le Pays Gessien qui annonçait le programme. Exemple, vendredi 3 juillet 1914 : la comédie désopilante de Georges Feydeau Ne te promène donc pas toute nue ! qui « malgré son titre n’a rien de choquant ».
Journal de Genève du 16 juillet 1914 : « La soirée de gala organisée mardi au Casino municipal de Divonne à l’occasion de la fête nationale a eu un grand succès. Un public nombreux composé en majorité d’étrangers en séjour à Divonne a fait une ovation à Mme Paquin, l’excellente cantatrice genevoise, qui a superbement chanté la Marseillaise, écoutée debout et reprise en choeur par toute l’assistance. Un bal des plus brillants et animés a clôturé la fête. L’illumination et l’embrasement du parc présentaient un coup d’œil féérique. Le Comité du Casino a décidé de donner plusieurs fêtes de nuit dans le courant de l’été. »
Hélas! Le Comité du Casino ne donna pas d’autre fête, ni cet été-là, ni les étés suivants. Le 2 août, le tocsin sonnait la mobilisation générale. Les Bains se vidèrent. Le casino ferma ses portes. Il ne rouvrit qu’en 1920 (ou en 1921?).

Une réouverture prometteuse
Le casino s’agrandit d’une vaste terrasse qui s’ouvrait sur la chaîne des Alpes. On construisit dans le parc un charmant petit kiosque à musique. La saison des jeux durait du 15 mai au 15 octobre.


L’autorisation ministérielle fut renouvelée en 1925, puis en 1930. Donc, tout va bien ?
Pas vraiment si l’on en croit les délibérations du Conseil Municipal…

Un casino fantôme !
La direction du casino demandait régulièrement à la municipalité une réduction sur la redevance annuelle que, selon le cahier des charges, elle devait verser à la commune.
– 1912 : L’autorisation de jouer n’est venue que le 14 août. Accordé un dégrèvement de 500 francs. « Il serait sage de favoriser cette nouvelle société qui par sa subvention vient augmenter les ressources municipales. »
– 1914 : Le casino a dû fermer ses portes le 1er août 1914. Accordé un premier rabais de 1.000 francs, puis un deuxième rabais de 500 francs.
– 1915, 1916, 1917, 1918, 1919. Du fait de la fermeture causée par la guerre, accordé la remises des redevances.
– 1922. Accordé un dégrèvement de 1.000 francs parce que « les affaires du casino ont connu de grandes difficultés. » (?)
– 1923. Exonération de 3.000 francs parce que « le casino a dû effectuer des réparations indispensables pour l’aménagement des eaux. » (?)
– 1923, 1924, 1925. Exonération complète, parce que « le casino n’a pas été ouvert pour des raisons majeures. » (????)
Enfin une amélioration?
– 1926 : L’année compte pour la 10e année d’exploitation. Redevance : 3.000 francs.
– 1927. Maintien de la redevance de 3.500 francs.

Les affaires semblaient reprendre ! Dans l’Echo de Divonne du 20 avril 1930, Alfred Françon annonçait avec optimisme l’ouverture du casino municipal le 15 juin. « La Société propriétaire projette de faire des améliorations, même de le transformer complètement en un établissement élégant digne de notre station. (…) Néanmoins, tel qu’il est, placé dans un cadre charmant, il attire et retient chaque saison les nombreux baigneurs qui aiment les émotions du jeu, la douce langueur des concerts symphoniques ou la trépidante agitation du dancing ou bien encore le charme des représentations théâtrales et cinématographiques. (…) Nous aurons le plaisir de revoir comme directeur artistique M. Paul Ugo qui l’an dernier nous donna quelqu’aperçu de ses qualités d’organisateur. Nous reverrons aussi le non moins sympathique M. Barrois, directeur des jeux, dont on sait apprécier l’incontestable compétence. Nous croyons savoir qu’un orchestre de premier ordre – tel celui de l’an dernier – assurera le service du dancing ; des soirées de théâtre, music-hall, cinéma et des bals de grands galas sont prévus. (…) »
Dans le même numéro on voyait cette réclame :

Chronique d’une fermeture annoncée
L’optimiste Alfred Françon n’avait pas envisagé que le krach boursier de 1929 aurait de graves répercussions en France. Déflation, chômage, faillites…
Conseil municipal du 5 décembre 1931 : Le casino « ayant été fermé en 1931 en raison de la crise qui sévit en ce moment sur tous les casinos de France, le Conseil Municipal consent à faire une réduction de 1.500 francs pour la saison 1931.»
2
juin 1932 : « Monsieur Roy, le directeur de la Sté du Casino se trouve dans la nécessité de ne pas ouvrir encore cette année. Il demande d’être exonéré pendant 3 ans ou tout au moins que la redevance annuelle soit de 200 francs pendant toute la durée où les jeux ne seront pas réouverts. En cas de refus, il serait dans la nécessité de demander la résiliation du cahier des charges. »
La municipalité répond qu’elle a été très large vis à vis du casino ; elle n’a profité qu’une ou deux fois depuis la guerre de la clause lui laissant le casino, son matériel et son personnel pour une fête de charité ; elle a déjà consenti une réduction importante en décembre 1931 ; maintenant, ça suffit ! Elle réclame le payement de la somme de 2.000 francs exigible depuis le mois mars.
6 juillet 1932 – Le Conseil municipal insiste : « Quand la somme de 2.000 francs, échue pour 1931 sera payée, la Commune consentira à percevoir 200 francs par an pendant 3 ans si les jeux ne sont pas ouverts. » C’était sonner le glas du casino municipal.

Encart paru dans le Journal de Genève le 30 août 1934.

Y-eut-il vraiment escroquerie ? Le personnel a-t-il porté plainte de son plein gré ? Les transformations dont parlait Alfred Françon en avril 1930 ont-elles été trop coûteuses ? L’ouverture de la salle des fêtes en 1930 a-t-elle fait concurrence au casino ? La Société des Bains serait-elle pour quelque chose dans le dysfonctionnement du casino? Lui aurait-elle fait de la contre-publicité ? – N’oublions pas la délibération du 28 avril 1912 : «  Il faudra jouer serré pour leur rendre leur projet difficile » ! Des fonds ont-ils été détournés ? Le casino était-il trop excentré? Difficile d’accès en voiture? Les baigneurs ont-ils tout simplement préféré les distractions proposées par la Société des Bains ?

1934 ! Jean Janin réalisait cette année-là l’affiche PLM où l’on voit une déesse de l’abondance déverser généreusement la prospérité sur Divonne…
La station, alors florissante, s’enorgueillissait de son superbe golf, le plus beau d’Europe disait-on, et de ses nouveaux hôtels, du Golf et des Alpes. Les conférences diplomatiques de la Société des Nations qui attiraient des personnalités politiques du monde entier à Genève, engendraient d’heureuses retombées sur la région. La Conférence pour la réduction et la limitation des armements qui a duré de février 1932 à 1934 amenait des clients au golf et dans les restaurants divonnais.
Et malgré cela, le casino municipal a fermé!

Un autre casino verra le jour à Divonne, 20 ans plus tard, dans une période plus favorable. Il sera mieux situé au centre-ville. Il connaitra immédiatement un succès extraordinaire. Il apportera à la ville richesse, gaieté, embellissement et notoriété.
Il est toujours là. Ce sera une autre histoire à raconter !


 

 


Le casino municipal                                        Le casino de Divonne
1912-1934                                                           fondé en 1954
Villa Beaujeu                                                     dans un hôtel de la Société des Bains

Sources – Merci aux contributeurs de Raconte-moi Divonne :
– Dossier Joseph Girod pour la délibération de la SA des Bains du 28 avril 1912 et la délibération du Conseil municipal du 14 février 1912.
– Les délibérations du Conseil municipal des années suivantes nous ont été communiquées par Jacques Pierron qui effectue des recherches aux archives de la mairie de Divonne pour l’association ARPADI.
– Les images proviennent de la collection Dominique Coppolani et de l’association Divonne-les-Bains Hier et Demain.


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